Devoir de mémoire

Le retrait du marché français de Mediator° (benfluorex) en 2009 doit beaucoup aux rapprochements faits avec des désastres du passé. Des soignants se sont souvenus des dégâts liés à d'autres amphétaminiques anorexigènes, l'aminorex dans les années 1960 et la dexfenfluramine (Isoméride°), proche de Mediator°, dans les années 1990 (1,2). En 1997, la commercialisation des fenfluramines, dont la dexfenfluramine, a été arrêtée parce que les graves atteintes des valves cardiaques de patients qui y avaient été exposés ont rappelé à des médecins étatsuniens les valves abîmées, des années voire des décennies plus tôt, par des dérivés de l'ergot de seigle (2).

La mémoire humaine peut sauver des vies. À l'inverse, l'amnésie des agences de régulation et des firmes expose les patients à des dégâts évitables.

Un effet connu il y a plus de 125 ans, puis oublié

En 2015, l'Agence étatsunienne du médicament (FDA) a rapporté des notifications d'acidocétose diabétique ou de cétose imputées aux hypoglycémiants du groupe des gliflozines, telle la dapagliflozine (Forxiga°), commercialisée en France en 2020 chez des patients diabétiques (3).

Cette annonce a semblé inattendue, alors qu'il s'agissait en fait d'un effet indésirable prévisible, à condition de se remémorer un savoir ancien. Des acidocétoses avaient en effet été rapportées avec la phlorizine, pour la première fois il y a 125 ans, une substance naturelle qui inhibe notamment le cotransporteur de sodium-glucose de type 2 (SGLT2) et qui a servi de modèle pour le développement des gliflozines (4).

Le médecin allemand Josef von Mering a rapporté des acidocétoses sous phlorizine dès la fin du 19e siècle, lors de ses travaux de recherche sur des antipyrétiques (4). Des observations ont été décrites en langue anglaise à partir de 1914, dans des revues très diffusées telles que le JAMA ou l'American Journal of Physiology (4,5). Le sujet a été abordé lors de la première réunion annuelle de l'Association américaine du diabète, en 1941 (4).

Occasions manquées

L'oubli du passé est-il dû à un manque de curiosité, de sagacité ou de méthode ? Ou plus prosaïquement à des difficultés d'accès aux archives les plus anciennes ? Les publications d'avant 1963 n'ont en effet pas été numérisées dans la base de données Medlars, ancêtre de Medline (5). En tout cas, concernant les gliflozines, l'occasion d'utiliser une connaissance déjà établie a été manquée, d'une part lors du développement de ces médicaments par les firmes, et d'autre part lors de l'analyse de leur évaluation avant autorisation de mise sur le marché (AMM) (4).

Dans le domaine du médicament, une nouveauté ne l'est pas toujours. Des parentés entre les substances sont souvent utiles à rechercher pour prévoir certains effets, favorables ou défavorables. La numérisation des publications, y compris anciennes, devrait faciliter cette recherche.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Et si c'était le médicament ? Au procès Mediator°, Georges Chiche et Irène Frachon racontent leur déclic" Rev Prescrire 2020 ; 40 (437) : 232-233.

2- Prescrire Rédaction "Valvulopathies cardiaques graves sous anorexigènes" Rev Prescrire 1997 ; 17 (178) : 750-751.

3- Prescrire Rédaction "Gliflozines : acidocétoses" Rev Prescrire 2015 ; 35 (383) : 673.

4- Leslie BR et coll. "Sodium-glucose cotransporter-2 inhibitors : lack of a complete history delays diagnosis" Ann Intern Med 2019 ; 171 (6)  : 421-426.

5- Greene JA "Amnesia, adverse effects, and the angel of history" Ann Intern Med 2019 ; 171 (6) : 434-435.