Résumé
Les firmes pharmaceutiques justifient souvent les prix exorbitants des nouveaux médicaments par les coûts élevés de recherche et développement (R&D). Elles ne sont pourtant pas les seules à assumer ces dépenses.
Aux États-Unis d'Amérique, un quart des nouvelles substances pharmaceutiques autorisées sont issues de la recherche publique. En Europe aussi, la recherche fondamentale publique joue un rôle déterminant dans la découverte de nouveaux médicaments.
L'argent public investi dans la R&D de nouveaux médicaments se chiffre en dizaines de milliards d'euros. Les firmes pharmaceutiques bénéficient aussi de milliards en avantages fiscaux, comme en France avec le crédit impôt recherche.
Le financement public et la générosité citoyenne sont cependant mal récompensés au vu des sommes de plus en plus importantes consacrées par les systèmes de santé au remboursement de médicaments extrêmement chers.
Les exemples de prix exorbitants de médicaments pourtant découverts à l'aide de fonds publics ne manquent pas : pembrolizumab (Keytruda°) aux Pays-Bas, ténofovir (Viread° ou autre) en Belgique, adalimumab (Humira° ou autre) au Royaume-Uni, onasemnogène abéparvovec-xioi (Zolgensma°) en France.
Dans de nombreux pays, des voix s'élèvent pour dénoncer le fait que les citoyens paient deux fois leurs médicaments, une première fois en finançant la recherche, une seconde fois via la solidarité nationale qui rembourse des médicaments au prix fort.
Dans tous les pays, même les plus riches, le prix exorbitant des nouveaux médicaments grève les dépenses de santé. Les firmes pharmaceutiques justifient souvent ces prix exorbitants par l'importance des dépenses de recherche et développement (R&D) pour les nouveaux médicaments. Mais si le financement de cette recherche est en partie assuré par des fonds publics, et si les firmes pharmaceutiques bénéficient de nombreuses aides, ces prix sont-ils encore justifiés ? Plusieurs études et rapports apportent des informations sur les soutiens financiers publics directs et indirects dont bénéficient les firmes pharmaceutiques (a)(1à3).
Financement public de recherche et développement de nouveaux médicaments
Pour l'année 2016, les 20 firmes pharmaceutiques les plus importantes du monde ont réalisé ensemble des ventes de médicaments pour environ 500 milliards de dollars US. Leurs dépenses en R&D auraient atteint 100 milliards, un chiffre inférieur à leurs 120 milliards de profits (4). Mais elles sont loin d'être les seules à financer la recherche.
Aux États-Unis d'Amérique, le rôle déterminant de l'argent public dans la recherche fondamentale
Plusieurs études ont chiffré l'importance de la participation du secteur public dans la R&D de nouveaux médicaments. Selon une étude de 2018, les 210 médicaments autorisés par la Food and Drug Administration (FDA) entre 2010 et 2016 ont tous bénéficié d'argent public, dont 90 % au stade de la recherche fondamentale (5,6).
Une autre étude s'est intéressée aux médicaments autorisés par la FDA entre 1998 et 2007 (2,7). Sur les 252 médicaments autorisés correspondant à de nouvelles substances, 24 % avaient été découverts par des chercheurs relevant soit d'une université, soit d'un centre de recherche financé par une association à but non lucratif (2,7). Dans deux tiers des cas, la licence avait été concédée en premier lieu à une entreprise de biotechnologie et dans un tiers des cas à une firme pharmaceutique (2,7). Les médicaments issus de la recherche publique avaient un statut prioritaire d'examen du dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) dans 60 % des cas, ce qui selon les auteurs montrait que le secteur public découvrait plus souvent des médicaments considérés comme ayant une réelle valeur clinique et thérapeutique (2,7).
Une autre étude a poursuivi le travail en étudiant les dossiers des autorisations accordées par la FDA, entre 2008 et 2017, aux médicaments contenant une ou plusieurs nouvelles substances (8). Sur les 248 médicaments autorisés, 19 % étaient issus de la recherche publique et 6 % de firmes créées dans le cadre d'un programme de recherche soutenu par de l'argent public, soit au total un médicament sur quatre. Parmi ces médicaments, 68 % avaient bénéficié d'un statut prioritaire d'examen du dossier d'AMM versus 47 % pour les autres, et 45 % étaient les premiers de leur groupe pharmacothérapeutique versus 26 % pour les autres, deux indicateurs d'une plus grande importance thérapeutique potentielle (8).
En Europe aussi
Dans une étude sur 94 médicaments contenant une nouvelle substance autorisés par l'Agence européenne du médicament (EMA) entre 2010 et 2012, 17 % étaient issus de la recherche publique ou d'un partenariat public/privé (2).
Au Royaume-Uni, une étude a montré que le gouvernement britannique et des associations caritatives ont financé, entre 2000 et 2012, environ 40 % de toutes les dépenses de R&D pharmaceutique (3). Entre 1982 et 2012, dans le seul domaine de la recherche sur le cancer, leur apport a été supérieur aux investissements du secteur privé pour 22 années sur 30 (3).
Selon cette étude, les instituts publics britanniques de recherche ont joué un rôle déterminant dans la découverte de médicaments tels que l'abiratérone, l'alemtuzumab (Lemtrada°), l'adalimumab (Humira° ou autre) et l'infliximab (Remicade° ou autre) (3).
Parmi les 10 médicaments les plus vendus au monde (en valeur), six sont des anticorps monoclonaux. Cette technique a été développée dans un laboratoire britannique, le Medical Research Council Laboratory of Molecular Biology de Cambridge, financé par des fonds publics. Son inventeur, prix Nobel de médecine en 1984, n'a pas déposé de brevet sur cette technique, car il en réprouvait le principe (3).
De l'argent public aussi dans le développement de nouveaux médicaments
Une étude étatsunienne a analysé les 1 541 médicaments autorisés par la FDA entre 1990 et 2007 et conclu que dans environ 10 % des cas, le secteur public avait participé aussi à la phase de développement (et donc pas seulement à la recherche fondamentale). Mais la propriété intellectuelle avait été transférée entièrement à une entreprise pharmaceutique (2).
La contribution du secteur public dans le développement des médicaments s'affirme aussi avec la part croissante des médicaments dits biologiques, développés par des entreprises de biotechnologie en partenariat avec des universités. Pour pallier leurs propres manques, les grandes firmes pharmaceutiques s'efforcent d'acquérir des petites ou moyennes entreprises de biotechnologie qui ont des substances prometteuses en développement, ou d'élargir leur partenariat avec des centres de recherche universitaires. Ainsi, la firme GSK a investi la moitié de ses dépenses de R&D dans un programme de partenariat avec les centres universitaires et les entreprises de biotechnologie. D'autres firmes se rapprochent géographiquement de centres universitaires pour créer des partenariats et leur confier notamment des tâches de criblage des molécules (2).
Des milliards de subventions, avec beaucoup d'opacité
Les sommes investies par les pouvoirs publics sont mal connues, les données accessibles étant souvent partielles.
Des milliards accordés aux entreprises pour la R&D
Aux États-Unis d'Amérique, chaque année, environ 37 milliards de dollars (32 milliards d'euros) de fonds publics seraient consacrés à la R&D biomédicale. Au Royaume-Uni, le gouvernement a dépensé 2,3 milliards de livres sterling (2,6 milliards d'euros) en 2015 en R&D pour la santé (2,3).
Un rapport publié en 2019 aux Pays-Bas a étudié les financements publics néerlandais pour la recherche biomédicale (2). Selon les informations fournies par les autorités néerlandaises, environ 837 millions d'euros de fonds publics sont allés directement à la R&D biomédicale en 2017 (2).
Le magazine indépendant belge Test Santé a évalué à 575 millions d'euros les sommes consacrées par la Belgique, en 2015, à la recherche biomédicale, via divers fonds provenant d'organismes publics et de la Commission européenne, et à 59 millions d'euros les subventions octroyées directement aux entreprises pour la R&D (1). Ce sont là les seules dépenses et aides directes.
Des milliards en avantages fiscaux
Aux Pays-Bas, l'industrie pharmaceutique a bénéficié de financements importants sous forme de crédits d'impôts permettant de compenser le coût des salaires des personnes affectées à la R&D, de réductions d'impôts sur les profits générés par des activités novatrices, d'aides en capital pour soutenir la création d'entreprises de biotechnologie, d'interventions dans le financement des essais cliniques (2). Les firmes pharmaceutiques ont par exemple bénéficié de 1,7 milliard d'euros de baisses d'impôts en 2017 sur les revenus issus des brevets (9).
Ces aides indirectes, ajoutées aux aides directes et aux sommes consacrées au remboursement des médicaments, permettent d'affirmer que le contribuable néerlandais paie finalement deux fois sinon trois fois ses médicaments (2).
En Belgique, quand les entreprises pharmaceutiques investissent dans la recherche, elles bénéficient aussi d'aides indirectes sous forme de divers avantages fiscaux que Test Santé a évalués à 872 millions d'euros pour l'année 2016 (1).
Divers avantages fiscaux en France
En France, entre 2015 et 2018, le crédit d'impôt recherche (CIR) a représenté pour l'ensemble des entreprises, tous secteurs confondus, une aide fiscale annuelle d'environ 6 milliards d'euros (10). En 2015, parmi les entreprises manufacturières, les entreprises du secteur pharmacie, parfumerie et entretien arrivaient en deuxième position des bénéficiaires (11,2 %), juste après les entreprises de l'industrie électrique et électronique (14,5 %) (10). Le taux du crédit d'impôt est de 30 % pour les dépenses de recherche inférieures à 100 millions d'euros, et de 5 % au-delà de ce seuil. Quand les entreprises font appel à des institutions de recherche académique pour effectuer leurs travaux de R&D, le taux est de 60 % (10).
Les revenus issus de la cession ou de la concession de brevets bénéficiaient d'un taux réduit d'imposition de 15 % jusqu'en 2018 (abaissé encore à 10 % en 2019) (11,12). Selon la Commission des finances du Sénat en 2012, le taux réduit de 15 % « coûte plus de 800 millions d'euros par an, donne lieu à de multiples pratiques d'optimisation fiscale, bénéficie essentiellement à de grands groupes pharmaceutiques » (11).
Des prix exorbitants pour des médicaments issus de la recherche publique
Les médicaments financés avec de l'argent public sont-ils accessibles à un prix raisonnable ? Il semble que non, comme le montrent plusieurs exemples.
Les Pays-Bas et le pembrolizumab
Aux Pays-Bas, une prise de conscience du prix exorbitant des nouveaux médicaments a eu lieu en 2015 lorsque les autorités ont réalisé qu'un médicament utilisé dans le cancer du poumon, le pembrolizumab (Keytruda°), risquait de coûter 200 millions d'euros par an, c'est-à-dire représentait à lui seul 11 % du budget alloué aux médicaments administrés à l'hôpital (1,85 milliard d'euros) (2).
Les ventes de Keytruda° ont atteint au niveau mondial 7,2 milliards de dollars US en 2018, soit 88 % de plus qu'en 2017 (2). Après évaluation de son service médical rendu, le gouvernement néerlandais l'a inscrit sur la liste des médicaments admis au remboursement en juillet 2017. Son coût annuel oscille entre 40 000 € et 60 000 € par patient aux Pays-Bas. Pourtant, des chercheurs appartenant à des universités et à des instituts publics néerlandais ont participé activement à tous les stades de sa découverte, de son développement et des essais cliniques (2).
La Belgique et le ténofovir
En Belgique, selon l'Enquête sur le budget des ménages de 2018, chaque personne dépense annuellement en moyenne 150 euros pour des médicaments (hors remboursement). De son côté, la Sécurité sociale belge a consacré, en 2017, 400 euros par habitant au remboursement des médicaments, soit 4,3 milliards d'euros. À eux seuls, les médicaments dits innovants contre le cancer ont coûté environ 600 millions d'euros, soit quatre fois plus qu'en 2007 (1).
Des chercheurs de l'université catholique de Louvain ont découvert, conjointement avec un institut de recherche tchèque, trois substances différentes dont le ténofovir (Viread° et autres). En échange de royalties et d'une licence exclusive, la firme Gilead a poursuivi le développement des médicaments et a assuré leur commercialisation. Au vu des données publiques disponibles, le magazine Test Santé a estimé, pour la période 2008-2017, à 72 milliards d'euros le chiffre de vente global engrangé par Gilead pour ces trois médicaments. Pendant ce temps, l'université de Louvain a perçu 559 millions d'euros, soit moins de 1 % des ventes, et la Sécurité sociale belge a dépensé 486 millions d'euros pour le remboursement de ces mêmes médicaments (1).
Le Royaume-Uni et l'adalimumab
Au Royaume-Uni, les dépenses en médicaments du Service national de santé (NHS) ont augmenté de 29 % en 5 ans, passant de 13 milliards de livres sterling en 2010-2011 à près de 17 milliards en 2015-2016 (3,13). En 2015-2016, le NHS a déboursé pour les cinq médicaments les plus coûteux (dont 4 anticorps monoclonaux) environ un milliard de livres, dont plus de 416 millions pour le seul adalimumab, pourtant issu de la recherche publique britannique (3). En 2018, l'adalimumab a coûté au NHS près de 500 millions de livres (13). Les dépenses pour les médicaments à l'hôpital ont progressé de près de 11 % en 2018 par rapport à 2017, représentant la moitié de la facture médicaments du NHS, soit 9,2 milliards de livres (13).
L'onasemnogène abéparvovec-xioi, médicament le plus cher du monde en 2020, issu de la recherche et de la générosité françaises
En mai 2019, la FDA a autorisé la mise sur le marché de l'onasemnogène abéparvovec-xioi (Zolgensma°), une thérapie génique destinée à traiter les enfants âgés de moins de 2 ans atteints de la forme la plus sévère de l'amyotrophie spinale (14). Ce médicament, issu de la recherche publique (Centre national de la recherche scientifique) et du Généthon, laboratoire de recherche financé par le Téléthon (une manifestation caritative qui récolte chaque année en France des dons pour la recherche contre les maladies génétiques, notamment neuromusculaires) et des subventions publiques, a été développé par l'entreprise de biotechnologie étatsunienne AveXis (14). En mai 2018, Novartis a racheté cette firme pour 8,7 milliards de dollars US (7,4 milliards d'euros), et a fait connaître son prix pour ce médicament : environ 2,1 millions de dollars US par enfant (1,9 million d'euros), un obstacle de taille pour les familles étatsuniennes (b)(14,15).
Firmes à la recherche du prix maximal : une stratégie à analyser et contrôler
En France, un rapport de la Cour des comptes a relevé le changement de stratégie opéré par les firmes pharmaceutiques, dans les années 2000, à la suite de la fin de nombreux brevets de médicaments d'origine chimique dans le traitement de maladies courantes et d'un encadrement accru des dépenses de santé dans les pays les plus développés économiquement. Les firmes ont recentré leurs activités sur des produits d'origine biologique et des maladies de niche « à plus fort potentiel économique », notamment en acquérant des entreprises de biotechnologie plutôt qu'en investissant en interne dans la recherche et développement (15).
Typiquement, les droits sur les découvertes liées à des recherches financées par le secteur public sont transférés à des entreprises privées à travers une licence exclusive qui laisse quelques royalties aux établissements publics qui les ont découverts, et des bénéfices plantureux aux firmes (3).
Comme l'indique le rapport de la Cour des comptes française, les firmes ont aussi revu leur politique de prix, non plus en fonction des sommes investies en R&D, mais selon les capacités à payer des acheteurs publics et des assureurs. Le but est d'accélérer au maximum le retour sur "investissement" (15). La Cour des comptes donne comme exemple celui du sofosbuvir (Sovaldi°), pour lequel le prix est clairement déconnecté des coûts de R&D (15,16). Il n'en reste pas moins que les firmes continuent de mettre en avant des coûts très élevés de R&D, comme on peut s'en rendre compte par exemple sur le site internet du syndicat français des firmes pharmaceutiques (17).
Éviter que les citoyens paient deux fois leurs médicaments
Quel que soit leur pays d'origine, les rapports et études cités plus haut dénoncent tous : le manque de transparence et de vue d'ensemble des fonds publics octroyés pour la R&D biomédicale ; l'absence de conditions mises à l'octroi de fonds publics pour permettre l'accessibilité aux nouveaux médicaments ; le manque de cohérence d'aides octroyées à des médicaments porteurs pour les firmes mais ne répondant pas nécessairement à des objectifs de santé publique jugés prioritaires, etc. Les auteurs des rapports et études font des propositions pour éviter que les citoyens paient deux fois leurs médicaments, une fois pour la recherche et développement et une seconde pour le remboursement (2,3,18).
En mai 2019, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté une résolution demandant davantage de transparence sur les prix des médicaments (19,20). Mais les États membres de l'OMS n'ont pas voté la transparence sur les coûts de recherche et développement pharmaceutique, demandée par de nombreuses associations dont Prescrire (21).
En France, dans la logique de cette recommandation de l'OMS, et sous la pression d'associations, le gouvernement a proposé en novembre 2019 d'instaurer l'obligation pour les firmes pharmaceutiques de porter à la connaissance du Comité économique des produits de santé « le montant des investissements publics de recherche et développement dont elles ont bénéficié » pour les médicaments susceptibles d'être admis au remboursement ou agréés aux collectivités (22). Mais cette mesure a été malheureusement annulée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure, sans qu'il se soit prononcé sur le fond (23,24).
Synthèse élaborée collectivement par la Rédaction
sans aucun conflit d'intérêts
©Prescrire
Notes
a- Les principaux rapports utilisés pour ce texte proviennent du Royaume-Uni, de Belgique et des Pays-Bas (réf. 1à3). Ils ont été choisis notamment pour la précision et l'originalité des données fournies. Ils ne sont pas les seuls à s'être intéressés au financement public de la recherche en santé. Ainsi, un document publié en janvier 2019 par Salud por Derecho, une fondation indépendante espagnole, analyse la situation en Espagne et réclame la transparence dans l'affectation des financements publics à la R&D de médicaments (réf. 25).
b- Selon la firme Novartis, le prix est justifié parce qu'il s'agit d'une injection unique, contrairement au nusinersen (Spinraza°), autorisé dans la même maladie et remboursé par la Sécurité sociale à hauteur de 420 000 euros par patient la première année et 210 000 euros les années suivantes, tout au long de la vie (réf. 14).