Un procès pour éviter un nouveau désastre : comprendre et dissuader

La longueur du procès Mediator° (sept mois) rend difficile un compte rendu exhaustif. Prescrire a fait le choix de porter son regard surtout sur la partie du procès concernant l'Agence française du médicament et ses experts, et non sur celle concernant la firme Servier (lire aussi "Mediator° : procès d'un entre-soi entre des acteurs de l'Agence du médicament et une firme influente"). L'Agence, investie d'une mission de service public, est censée défendre l'intérêt des patients. En tant que "gendarme du médicament", elle a une mission de contrôle vis-à-vis des firmes, quels que soient leurs intentions, leurs méthodes et leur modèle économique. L'Agence aurait dû retirer plus tôt Mediator° à base de benfluorex.

Entre le particulier et le général. Peut-on tirer du dossier Mediator°, tel qu'il est apparu à l'audience, des enseignements plus généraux sur le fonctionnement du système organisant la commercialisation du médicament ? Prescrire a choisi l'anonymat des personnes impliquées, pour mettre en avant un fonctionnement systémique habituel et certaines conceptions du médicament alors répandues, plutôt que de focaliser son attention sur telle ou telle personne. Parmi les prévenus, seuls deux sont désignés nommément. Ils avaient un rôle éminent, l'un à l'Agence (Jean-Michel Alexandre), l'autre dans la firme (Jean-Philippe Seta), et ils ont été condamnés par le tribunal.

Lors de ce procès, il est aussi apparu que la firme Servier n'était sans doute pas une firme comme les autres, notamment dans ses relations avec l'Agence. Elle a employé des méthodes particulières, entre autres d'influence, jusqu'à exercer des pressions, des intimidations et des menaces, selon certains témoins. Le fait qu'il s'agisse d'une firme française, dans un contexte français d'intérêts économiques et de réseau d'influence, a aussi joué un rôle important.

Sa condamnation en première instance pour « dissimulation » et « homicides et blessures involontaires » n'a pas surpris la Rédaction de Prescrire : nous n'avons jamais cru que la firme ait pu ignorer la parenté chimique du benfluorex avec les fenfluramines, son métabolisme, ses propriétés anorexigènes, et son rôle plausible puis prouvé dans des hypertensions artérielles pulmonaires et des valvulopathies cardiaques.

Le désastre Mediator° est un cas extrême. Comme l'est le désastre des opioïdes aux États-Unis d'Amérique et les nombreux morts liés à leur promotion abusive. Certes, mais ces cas extrêmes aident, de façon exemplaire et plus large, à prendre conscience des risques que fait courir la confusion des intérêts des divers acteurs, experts, agences, soignants, association de patients, avec les intérêts particuliers des firmes.

Des peines et amendes trop légères. Les juges, chargés de déterminer si tel ou tel fait relevait ou non d'un délit au regard de la loi, ont relaxé plusieurs personnes mises en cause, en raison d'une prescription des faits, d'une absence de preuve ou parce que leurs déclarations d'intérêts étaient renseignées aux périodes concernées. Mais ce jugement ne doit pas occulter l'intérêt qu'apporte le procès par les éléments qu'il a rendu publics. Les propos tenus devant le tribunal, par des prévenus ou des témoins, ont décrit le contexte des relations firmes-Agence à l'époque Mediator°, conduisant à une mise en danger des patients.

Ce jugement pose aussi la question du caractère dissuasif des peines encourues. Ces peines vont-elles contribuer à éviter d'autres désastres ? Au terme du procès en première instance, la firme Servier, son ancien numéro 2 Jean-Philippe Seta, et l'Agence ont été condamnés pour « homicides et blessures involontaires ». Mais, contrairement aux réquisitions des procureures, aucune peine de prison ferme n'a été prononcée contre l'ancien numéro 2 de la firme Servier. Ce jugement a surpris. Comme a surpris la relaxe de la firme et de son ancien numéro 2 au sujet de l'« escroquerie » dont ils étaient accusés au détriment des assurances maladie obligatoires et complémentaires qui ont remboursé les prescriptions. Les peines d'amende prononcées contre la firme, contre son ancien numéro 2 et contre l'Agence ont été maximales au regard de la loi du moment, mais tout à fait dérisoires rapportées au désastre humain ainsi qu'aux profits réalisés par la firme Servier avec Mediator°.

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