Curiosité

Comment se fait-il que le lien entre le benfluorex (ex-Mediator°) et les valvulopathies soit resté méconnu de la plupart des cardiologues pendant des dizaines d'années ? Malgré la large utilisation du médicament, malgré la fréquence de ces atteintes valvulaires, malgré des échocardiographies de plus en plus performantes.

Certes, il y a toujours un délai avant d'intégrer des faits nouveaux aux connaissances acquises. Et avant d'assimiler ces connaissances et de modifier sa pratique. En particulier quand cela concerne les effets indésirables mis en lumière au fil des années, parfois longtemps après la mise sur le marché du médicament.

Ainsi, depuis les années 2010, les effets cardiovasculaires graves plus fréquents avec le diclofénac (Voltarène° ou autre) qu'avec d'autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont avérés, mais ce médicament reste encore souvent utilisé une dizaine d'années plus tard. De même, la connaissance du risque accru de troubles graves du rythme cardiaque avec certains antidépresseurs inhibiteurs dits sélectifs de la recapture de la sérotonine (IRS) n'a pas encore beaucoup modifié les habitudes de nombreux médecins.

Cela tient pour partie à la lenteur de la diffusion des réévaluations des données et des actualisations des guides de pratique clinique, plus ou moins sous influences. Cela tient aussi, au niveau individuel, à la force de l'habitude, ou au manque de mise à jour régulière des connaissances.

Mais dans le cas des valvulopathies dues au benfluorex, un autre facteur s'est ajouté (lire aussi "Des valvulopathies d'origine médicamenteuse dans l'angle mort des cardiologues"). Une cause classique d'insuffisance valvulaire acquise chez les adultes étant le rhumatisme articulaire aigu, beaucoup de cardiologues y ont vu la cause des insuffisances valvulaires qu'ils constataient chez les patients prenant du benfluorex. Mais comment concilier ce diagnostic avec la disparition du rhumatisme articulaire aigu en France, et avec l'absence d'antécédent évocateur chez les patients ? En échafaudant la théorie d'une nouvelle forme de ce rhumatisme, qui passerait inaperçue sauf sur le plan cardiaque… Idée largement acceptée, qui permettait de rendre l'explication conforme aux préceptes enseignés parmi les cardiologues. Sans mise en cause du médicament. Sans remise en question d'un traitement médical.

Comment échapper à ce type d'aveuglement ? En cherchant des explications sans préjugé ni conformisme. En posant systématiquement la question : et si c'était dû au médicament ? En prenant soin de rester curieux, critique, attentif et ouvert face à des faits qui ne collent pas avec les données et schémas habituels (lire aussi "Ils parlent du désastre. Et si c'était le médicament ? Au procès Mediator°, Georges Chiche et Irène Frachon racontent leur déclic").

La curiosité est une grande qualité !

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