Besoin de preuves : dans le covid-19 aussi

Outre ses nombreuses conséquences sanitaires et économiques majeures dans le monde entier, l'épidémie de covid-19 a conduit de nombreuses personnes à s'interroger sur l'évaluation des médicaments et le besoin de preuves avant leur utilisation.

AINS et risque d'infections : des preuves trop peu diffusées

Par un tweet le 14 mars 2020, le ministre de la Santé français a déconseillé de prendre des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), notamment l'ibuprofène, parce qu'ils exposent à l'aggravation de l'infection par coronavirus (1).

Cette information n'a pas surpris en France puisqu'elle reprenait une préconisation de l'Agence française du médicament (ANSM) de ne pas utiliser d'AINS en cas d'infection, préconisation appuyée sur des données de pharmacovigilance françaises (2,3). Mais les agences européenne et étatsunienne du médicament (EMA et FDA), entre autres, ont rapidement contesté le message du ministre français (1). Pour ces agences et divers spécialistes du médicament, il y a des preuves que les AINS masquent des infections, mais il n'y a pas de preuves que ces médicaments exposent à leur aggravation.

Serait-ce parce que les données recueillies par les centres régionaux de pharmacovigilance français (CRPV) n'ont pas été publiées dans des revues internationales, ou parce que ces données dérangeantes sont négligées ?

Hydroxychloroquine et covid-19 : exagération des preuves

Fin mars 2020, une équipe française a médiatisé les résultats d'une étude présentée comme montrant l'efficacité de l'hydroxychloroquine (Plaquénil°) dans le covid-19 (4). Cette nouvelle a rapidement fait le tour de la planète et suscité d'immenses espoirs, malgré la grande fragilité des données publiées (5).

Une recommandation de l'EMA qu'il sera utile de lui rappeler à l'avenir

Plus largement, dès le 18 mars 2020, 615 articles sur le covid-19 étaient déjà accessibles avant acceptation de publication (preprint), signe d'une effervescence des chercheurs pour diffuser leurs résultats, avant même l'examen critique par des pairs (6).

Le 19 mars 2020, l'EMA a exhorté la communauté scientifique à mener des essais comparatifs randomisés, conçus pour fournir des preuves solides dans le domaine du covid-19 (7). Sage recommandation.

Dans le "monde d'après", on ne manquera pas de rappeler à l'EMA que cette règle s'applique à toute évaluation de médicament, quelle que soit la situation clinique, par exemple les cancers ou la sclérose en plaques, et pas seulement le covid-19.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Pesce NL "Does ibuprofen make the coronavirus worse ? Is it still safe to take aspirin ?" 20 mars 2020. Site marketwatch.com consulté le 24 mars 2020 : 3 pages.

2- ANSM "Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et complications infectieuses graves - Point d'information" 18 avril 2019 : 2 pages.

3- Prescrire Rédaction "AINS : infections graves (suite)" Rev Prescrire 2019 ; 39 (431) : 664-665.

4- Gautret P et coll. "Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of Covid-19 : results of an open-label non-randomized clinical trial" Int J Antimicrob Agents : https://doi.org/10.1016/j.ijantimicag.2020.105949 : 24 pages.

5- Prescrire Rédaction "Covid-19 et essais de médicaments : que faire des premiers résultats d'évaluation ?" 23 mars 2020. Site www.prescrire.org consulté le 24 mars 2020 : 1 page.

6- Maisonneuve H "Covid-19 : la bagarre pour publier vite n'est pas acceptable car de mauvais articles sont diffusés aux journalistes et patients" 19 mars 2020. Site www.redactionmedicale.fr consulté le 24 mars 2020 : 1 page.

7- EMA "Call to pool research resources into large multi-centre, multi-arm clinical trials to generate sound evidence on Covid-19 treatments" 19 mars 2020 : 2 pages.