L'examen par Prescrire d'environ 7 000 conditionnements de médicaments depuis 37 ans aboutit à un constat généralement préoccupant (lire aussi "Bilan 2017 du conditionnement : la qualité en progression mais encore beaucoup de dangers"). Pourtant, certaines dispositions réglementaires ou recommandations ont été prises au niveau européen ou français pour améliorer la sécurité des conditionnements de médicaments. Quelles sont ces améliorations ? Et pourquoi arrive-t-on toujours, en 2018, à ce constat que de nombreux conditionnements restent dangereux ?
Des recommandations européennes sources de progrès. La mise en application fin 2005 d'une nouvelle directive européenne sur les médicaments a fait évoluer le cadre réglementaire et les recommandations dans l'Union européenne en élevant le niveau de sécurité des médicaments (1,2). L'impact sur les conditionnements s'est concrétisé par une amélioration de la qualité des étiquetages de nombreux nouveaux médicaments qui respectent et valorisent l'affichage des dénominations communes internationales (DCI), et par une amélioration de la qualité des notices grâce aux tests de lisibilité.
En 2007, l'Agence européenne du médicament (EMA) a annoncé avoir renforcé sa procédure de vérification des étiquetages des conditionnements avant mise sur le marché (3). La publication en 2006 d'un rapport du Conseil de l'Europe a également fortement stimulé l'EMA à reconnaître l'importance des erreurs médicamenteuses et de leur prévention (4). Des recommandations de l'EMA à ce sujet ont été publiées en 2015, à l'issue d'une consultation publique engagée en 2013 (5).
Mais des agences pas assez exigeantes en pratique. Les évolutions positives ne sont pas suffisamment prises en compte par l'EMA, au vu des nombreuses autorisations de mise sur le marché (AMM) pour des flacons-vrac de formes orales, ou des notices dont le niveau d'information reste insuffisant pour protéger les patients (6).
Le constat est semblable du côté de l'Agence française du médicament (ANSM). De nombreux conditionnements sont autorisés alors qu'ils sont sources de dangers : étiquetages minimisant les mentions utiles à la prévention des erreurs médicamenteuses comme la DCI, dispositifs doseurs médiocres, notices limitées par exemple en termes d'informations destinées aux soignants, ou sur les excipients. À cela s'ajoutent des gammes ombrelles, c'est-à-dire des médicaments de compositions différentes dont les noms commerciaux partagent une marque commune facile à mémoriser, par exemple Doli° ou Humex° (7à10).
Depuis 2015, l'ANSM redresse un peu le cap avec des recommandations nationales pertinentes qui, si elles se traduisent dans les faits, renforceront fortement la sécurité des patients : interdiction des gammes ombrelles, valorisation de la DCI, plaquettes unitaires, dispositifs doseurs précis (6à9).
Société civile, soignants et patients font progresser les autorités. Les progrès européens des années 2000 doivent beaucoup au travail du Collectif Europe et Médicament constitué d'organisations de patients, de consommateurs, de mutualistes, et de professionnels de santé dont Prescrire (1). Ils doivent aussi à la participation régulière de divers organismes aux consultations publiques des agences du médicament sur le conditionnement, telles les actions du Réseau international de l'erreur médicamenteuse (IMSN) ou de Prescrire, qui ont contribué par exemple aux recommandations de l'ANSM conduisant à l'arrêt des gammes ombrelles en France en 2018 (1,6à16).
En 2017, l'apposition en France d'un pictogramme sur les boîtes de médicaments signalant leur danger au cours de la grossesse doit beaucoup à l'activisme d'une association d'aide aux parents d'enfants souffrant de malformations causées par l'acide valproïque (Apesac) (17).
Le dispositif de dépistage Autotest VIH° montre ce qu'est une notice d'un niveau exceptionnel lorsque des associations de patients y contribuent, alors que le conditionnement d'un dispositif analogue (Insti°), conçu sans cette collaboration, comporte des lacunes (18,19).
Rester mobilisés et proactifs. Soignants et patients ont aussi un rôle très important à jouer en notifiant les erreurs médicamenteuses avérées liées à des conditionnements défaillants. Ou en signalant les erreurs potentielles, comme cela a été effectué en 2017 par plusieurs soignants hospitaliers qui ont alerté sur la coexistence de dispositifs doseurs d'Haldol° buvable (halopéridol) différemment gradués, sources d'erreurs potentielles.
Notes
1- Prescrire Rédaction "Europe et médicament : les succès obtenus par les citoyens" Rev Prescrire 2004 ; 24 (252) : 542-548.
2- European Commission "Guideline on the readability of the labelling and package leaflet of medicinal products for human use, revision 1" 12 janvier 2009 : 27 pages.
3- European Medicines Agency "Checking process of mock-ups and specimens of outer/immediate labelling and package leaflets of human medicinal products in the centralised procedure" 5 août 2014 : 19 pages.
4- Council of Europe - Expert Group on Safe Medication Practices "Creation of a better medication safety culture in Europe : Building up safe medication practices" 2006 : 275 pages.
5- European Medicines Agency "Good practice guide on risk minimisation and prevention of medication errors" 18 novembre 2015 : 41 pages.
6- Prescrire Rédaction "Projet de l'ANSM de recommandations sur les étiquetages des formes orales solides : un premier pas encourageant vers plus de sécurisation de l'usage des médicaments, à optimiser" 12 novembre 2017 : 8 pages.
7- Prescrire Rédaction "Projet de l'ANSM de recommandations nationales sur les noms commerciaux : un projet qui entretient les confusions sources de danger" 14 décembre 2016 : 4 pages.
8- ANSM "Nom des médicaments - Recommandation à l'attention des demandeurs et titulaires d'autorisations de mise sur le marché et d'enregistrements" janvier 2018 : 9 pages.
10- Prescrire Rédaction "Prescrire's response to the European Commission's public consultation concerning its proposed revision of the Guideline "Excipients in the labelling and package leaflet of medicinal products for human use"" 19 mai 2017 : 4 pages.
11- International Network of Safe Medication Practice Centers (Insmpc) "Unit-dose packaging of pharmaceutical products: comments of the International network of safe medication practice centres on French health products safety agency specifications draft" octobre 2007 : 5 pages.
12- International Medication Safety Network - IMSN "Position statement. Making medicines naming, labelling and packaging safer" 2013 : 11 pages.
13- International Medication Safety Network "IMSN encourages regulators and companies to improve medication safety at the global level" Communiqué de presse, 21 novembre 2016 : 2 pages.
14- Prescrire Rédaction "Réponse Prescrire à la consultation sur les recommandations EMEA/208304/2009 (traduction). Prévenir les erreurs liées à l'expression du dosage sur les éléments du conditionnement des médicaments" 28 mai 2009 : 9 pages.
15- Prescrire Rédaction "Réponse de Prescrire à la consultation publique EMA/275297/2010 "Draft - QRD recommendations on pack design and labelling for centrally authorised non-prescription human medicinal products"" 29 juin 2011: 6 pages.
16- Prescrire Rédaction "Réponse de Prescrire à la consultation publique EMA/CHMP/QWP/180157/2011 "Draft - Guideline on Pharmaceutical Development of Medicines for Paediatric Use" : un état des lieux pragmatique et 20 propositions constructives" 29 décembre 2011 : 20 pages.
17- Prescrire Rédaction "Un pictogramme sur les boîtes de médicaments tératogènes ou fœtotoxiques" Rev Prescrire 2017 ; 37 (410) : 903-904.
18- AAZ "Notice-Autotest VIH". Site www.autotest-sante.com consulté le 23 janvier 2017 : 2 pages.
19- Prescrire Rédaction "Insti° : deuxième autotest du HIV commercialisé en officine" Rev Prescrire 2017 ; 37 (404) : 421.