Base Transparence Santé : quelles "conventions" entre Prescrire et les firmes ?

« En allant sur la base de données du gouvernement sur le site www.transparence.sante.gouv.fr, j'ai trouvé la revue Prescrire. Ainsi, la revue a signé 9 conventions entre 2012 et 2015 avec des laboratoires pharmaceutiques. Étant abonné de la revue, j'aimerais comprendre à quoi correspondent ces conventions ? »

Thomas Weil

Pharmacien (Canada)

La base de données consultée par Thomas Weil est la base de données de "Transparence en santé publique", où, en France, les firmes pharmaceutiques doivent déclarer les "avantages" qu'elles ont accordés aux professionnels de santé et autres acteurs de la santé, ainsi que les "conventions" qu'elles ont passées avec eux. Des firmes pharmaceutiques ont effectivement déclaré des "conventions" avec Prescrire dans cette base de données. La question posée par Thomas Weil a été aussi formulée par d'autres abonnés qui se sont étonnés de voir Prescrire y figurer.

Prescrire aurait-elle réellement passé des "conventions" avec des firmes pharmaceutiques, et quel en serait l'objet ? Qu'en est-il des relations et de l'indépendance de Prescrire vis-à-vis des firmes ?

Base de données "transparence" : une conséquence positive du désastre Mediator°

La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 (dite "loi de sécurité du médicament", votée sous l'effet du désastre Mediator°) a prévu le renforcement des dispositions de la loi dite "anti-cadeaux" de 1993, qui avait encadré les avantages et cadeaux que les soignants peuvent recevoir des firmes (1,2).

Rendre publics les "avantages" et les "conventions"

Cette loi a créé l'article L. 1453-1 du Code de la santé publique qui oblige les firmes à rendre publics les "avantages" en nature et en espèces qu'elles versent aux étudiants, professionnels de santé, associations, entreprises éditrices de presse, sociétés savantes, etc. (1). Il s'agit de repas, hébergements, etc.

De même, les firmes doivent rendre publiques l'existence de "conventions" qu'elles ont conclues avec les mêmes personnes physiques ou morales (1).

Transparence à reculons sur les "conventions"

Ces "conventions" sont définies comme « des accords impliquant des obligations de part et d'autre. Il s'agit, par exemple, de la participation à un congrès en tant qu'orateur (obligation remplie par le professionnel), avec prise en charge du transport et de l'hébergement (obligation remplie par l'entreprise). Les conventions peuvent aussi avoir pour objet une activité de recherche ou des essais cliniques sur un produit de santé, la participation à un congrès scientifique, une action de formation, etc. » (3,4).

Dès la publication de la loi, Prescrire avait demandé qu'en plus de l'existence de ces "conventions", leur contenu aussi soit rendu public, seule condition d'une réelle transparence (5). Mais en août 2012, le projet de décret d'application n'allait pas dans ce sens, et le décret publié en mai 2013 non plus (6à8).

En août 2013, le Formindep et le Conseil national de l'Ordre des médecins ont contesté notamment ce point précis du décret en Conseil d'État, estimant que le décret ne respectait pas l'intention de la loi en excluant le contenu des "conventions" de l'obligation de déclaration (9,10). Depuis, le Conseil constitutionnel et la Cour des comptes ont aussi souligné la nécessité d'une plus grande transparence sur les liens d'intérêt dans le domaine de la santé (11,12).

La ministre de la santé a introduit dans la loi du 26 janvier 2016, dite de modernisation de notre système de santé, un article précisant que la déclaration obligatoire des "conventions" concerne « son objet précis, la date, le bénéficiaire direct et le bénéficiaire final, et le montant » (13). Mais en avril 2016, une nouvelle fois, le projet de décret ne prévoyait pas de rendre obligatoire le contenu des "conventions" (10,11,14).

Mi-2016, les informations que les firmes doivent publier dans la base www.transparence.gouv.fr sont très limitées, et le montant de la "convention" n'est pas renseigné (3,4).

De 2012 à 2015, au total 12 déclarations mentionnant Prescrire

Dans la base de données www.transparence.sante.gouv.fr, les informations sont disponibles par semestres.

Au total, de début 2012 à mi-2016, on trouve sur la base de données transparence santé 12 "conventions" impliquant Prescrire, déclarées par 9 firmes différentes, certaines ayant déclaré plusieurs "conventions" sur cette période.

Plus précisément, 9 "conventions" ont été déclarées par des firmes avec « Prescrire » (par les firmes Leo Pharma, MSD France (en 2012 et 2013), Sanofi Pasteur MSD SNC, Menarini France, Astellas Pharma (en 2012 et 2014), Alk-Abello en 2014, Serb). La firme Daiichi Sankyo France a déclaré une "convention" avec « la revue Prescrire », la firme Alk-Abello avec l'« Association Mieux Prescrire » en 2013, et enfin la firme Servier avec « la revue Prescrire (via Ebsco) », Ebsco étant une société de commande et de gestion d'abonnements, et plus généralement de services documentaires.

Des abonnements à la revue Prescrire, tout simplement

En l'absence d'obligation de publication du montant de la "convention" ou de son objet précis, on trouve des informations formulées de façon diverse par les firmes. Serb et Daiichi Sankyo France ont déclaré que l'objet de la "convention" est leur abonnement à Prescrire. Une autre déclaration rapporte qu'il s'agit de « presse scientifique ». 5 déclarations indiquent que l'objet de la "convention" est « édition », 3 déclarations indiquent comme objet « prestation de service ».

Astellas a indiqué comme objet « publicité » (a).

Les firmes sont des abonnées payantes, comme les autres

Comme tous les autres abonnés, les firmes qui souhaitent pouvoir accéder aux informations publiées dans Prescrire paient un abonnement.

139 firmes abonnées à Prescrire

L'Association Mieux Prescrire, qui édite Prescrire, publie chaque année en mars un bilan annuel de ses finances dans la revue, bilan disponible aussi en accès libre sur le site www.prescrire.org. Le dernier en date montre qu'en septembre 2015, 139 firmes étaient abonnées à Prescrire, ce qui correspond à 0,5 % des 30 361 abonnés (15). L'apport au budget est un peu plus important en proportion puisque le tarif dit « institutions » est environ 2 fois plus élevé que le tarif normal destiné aux soignants.

La participation des firmes au budget de Prescrire est donc très faible. Elle n'est pas nulle parce qu'il serait paradoxal que les firmes qui souhaitent accéder aux informations publiées dans Prescrire ne payent pas leur abonnement.

Trois tirés-à-part en 3 ans

Les tirés-à-part d'articles financés par les firmes sont une source de revenu notable de revues médicales, y compris très réputées telles que The Lancet ou le British Medical Journal (16).

Dans son souci permanent d'indépendance, Prescrire a établi une politique très stricte en matière de tirés-à-part pour éviter qu'ils ne deviennent lucratifs (17). Une charte a été établie, et figure en accès libre sur le site www.prescrire.org. Seuls le coût de reproduction et un droit de copie sont facturés aux firmes qui souhaitent diffuser un tiré-à-part d'un texte de Prescrire. Les tirés-à-part portent la mention « reproduit avec l'accord de Prescrire sans contrepartie financière » (17).

De 2012 à mi-2016, trois tirés-à-part ont été autorisés par Prescrire. En 2012, la filiale belge de la firme MSD a commandé 50 exemplaires de 2 articles, facturés pour un montant total de 337,24 €. En 2015, la firme Sanofi Pasteur MSD a commandé 2 000 tirés-à-part de deux articles, facturés pour un montant total de 4 770,36 €. La firme Codexial Dermatologie a commandé 10 000 exemplaires d'un texte, facturés pour un montant total de 3 769,20 €.

Garantir la fiabilité du service fourni aux abonnés

En dehors des abonnements pour leur propre compte et de rares tirés-à-part toujours facturés de façon à ne dépendre en rien de leur volume, Prescrire ne reçoit pas le moindre euro des firmes pharmaceutiques ou autres firmes de produits de santé. Prescrire ne produit pas de suppléments "sponsorisés" et refuse les financements déguisés, tels que des abonnements de professionnels de santé payés par des firmes.

Depuis ses débuts, Prescrire a mené une réflexion approfondie autour de l'indépendance, afin d'être en situation d'évaluer librement les outils diagnostiques et thérapeutiques, et aussi les discours et les pratiques des autorités de santé françaises et européennes, des industriels, des assureurs maladie et des organisations professionnelles elles-mêmes.

Aux autorités d'imposer une vraie transparence sur le contenu des "conventions"

La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 (dite "loi de sécurité du médicament", votée suite au désastre Mediator°) a prévu d'obliger les firmes à rendre publics les "avantages" qu'elles ont accordés aux professionnels de santé et d'autres acteurs de la santé, et les "conventions" qu'elles ont passées avec eux (1).

Depuis 2012, avec d'autres, Prescrire réclame la transparence sur le contenu des "conventions", et que les liens d'intérêts liant des soignants et des firmes et qui nuisent aux soins de qualité soient connus. Cette réelle transparence aurait notamment permis à chacun de constater que les quelques "conventions" déclarées par des firmes avec Prescrire concernent en fait des abonnements ou des tirés-à-part non lucratifs.

L'intérêt général est que des associations comme le Formindep et le collectif Europe et Médicaments auquel participe Prescrire soient entendues, et que le décret devant préciser ce point de la loi de santé de janvier 2016 assure une transparence complète, et non qu'elle continue de permettre des zones d'opacité.

©Prescrire

Notes

a- Les lecteurs intéressés par l'assignation de Prescrire en justice par Astellas peuvent se rapporter à la référence 18 pour y trouver détaillés quelques éléments de réponse de Prescrire aux mises en cause de la firme, et le jugement du tribunal, qui a débouté la firme le 2 mars 2011.

bibliographie

1- "Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé" Journal Officiel du 30 décembre 2011 : 24 pages.

2- Prescrire Rédaction "Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social" Rev Prescrire 1993 ; 13 (130) : 334.

3- Ministère des affaires sociales et de la santé "La base de données publiques Transparence-Santé. Qu'est-ce que la base Transparence - Santé ?". Site transparence.sante.gouv.fr consulté le 20 avril 2016 : 3 pages.

4- Ministère des affaires sociales et de la santé "Circulaire n° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l'application de l'article 2 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé" : 12 pages.

5- Prescrire Rédaction "Politique du médicament. Une loi de "sécurité du médicament" trop faible" Rev Prescrire 2012 ; 32 (342) : 292-304.

6- Collectif Europe et Médicaments "Communiqué de Presse. Transparence sur les liens d'intérêts (alias "Sunshine Act" à la française) : un site unique à renforcer, puis à compléter" 16 décembre 2013 : 2 pages.

7- Prescrire Rédaction "Transparence en trompe-l'œil" Rev Prescrire 2013 ; 33 (357) : 534.

8- "Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l'homme" Journal Officiel du 22 mai 2013 : 4 pages.

9- Formindep "Sécurité sanitaire compromise. Le Formindep saisit à nouveau le Conseil d'État. Recours en annulation contre les décrets 2013-413 et 2013-414" 23 août 2013. Site www.formindep.org consulté le 31 mai 2016 : 7 pages.

10- Formindep "La transparence est une course de fond. Loi "sunshine" : quatre ans et toujours pas appliquée" 8 février 2016. Site www.formindep.org consulté le 13 juin 2016 : 6 pages.

11- Formindep "La ministre de la santé doit assurer sans tarder une vraie transparence des liens entre professionnels et firmes de santé" Site www.formindep.org consulté le 13 juin 2016 : 4 pages.

12- Cour des comptes "La prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire. Communication à la commission des affaires sociales du Sénat. Article LO. 132-3-1 du code des juridictions financières" mars 2016 : 98 pages.

13- "Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé" Journal Officiel du 27 janvier 2016 : 111 pages.

14- "Projet de décret modifiant le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l'homme". Version du 20 avril 2016.

15- Prescrire Rédaction "Les finances de l'Association Mieux Prescrire : bilan de l'exercice 2014-2015" Rev Prescrire 2016 ; 36 (389) : 164-165.

16- Prescrire Rédaction "Le plan de publication : une stratégie efficace des firmes sur les soignants" Rev Prescrire 2013 ; 33 (360) : 774-777.

17- Prescrire Rédaction "Charte relative à l'autorisation de diffusion d'un texte tiré à part d'une publication Prescrire" 29 juillet 2011. Site www.prescrire.org consulté le 19 mai 2016 : 1 page.

18- Prescrire Rédaction "Le tacrolimus dermique (Protopic°) a-t-il été dénigré par Prescrire ?" Rev Prescrire 2011 ; 31 (331) : 393 (texte complet sur le site www.prescrire.org : 7 pages).