Résumé
Au cours de l'année 2018, parmi les 99 nouveautés médicamenteuses analysées dans Prescrire, 13 ont apporté un progrès notable.
L'Agence européenne du médicament n'est pas assez exigeante, notamment pour l'évaluation des médicaments des cancers. La liste des médicaments de la sclérose en plaques, toxiques et insuffisamment évalués, s'allonge. Le statut de médicament "orphelin" est particulièrement lucratif pour les firmes ; pourtant seule une minorité des nouveautés médicamenteuses avec le statut de médicament "orphelin" analysées en 2018 apporte un progrès notable pour les patients.
Tous les mois, Prescrire publie une analyse indépendante, comparative et méthodique des nouveautés concernant les médicaments : nouvelles substances, nouvelles indications, nouvelles formes pharmaceutiques, etc. Prescrire suit aussi de près les effets indésirables des médicaments, les arrêts de commercialisation, les retraits du marché ou les ruptures de stocks, la réglementation des produits de santé, particulièrement au niveau de l'Union européenne. L'objectif est d'aider les abonnés à Prescrire à distinguer, parmi les nouveautés, celles qui apportent un réel progrès pour les soins, de celles qui s'ajoutent sans progrès, voire qui n'auraient pas dû être autorisées vu les incertitudes et la dangerosité des substances.
En 2018, 99 nouveautés médicamenteuses comportant une cotation ont été publiées dans Prescrire (voir le tableau plus loin). Dans la lignée des années précédentes, beaucoup de nouveautés n'ont pas apporté de progrès (50 sur 99 cotées "N'apporte rien de nouveau"). Un certain progrès a été apporté par 35 nouveautés, mais minime pour 22 d'entre elles (cotées "Éventuellement utile"). Le progrès a été notable pour 13 nouveautés (cotées "Intéressant" ou "Apporte quelque chose"), dont la naloxone sous forme nasale (Nalscue°) dans le traitement d'urgence des surdoses d'opioïdes, et une nouvelle substance, la sébélipase alfa (Kanuma°) dans une maladie rare, le déficit en lipase acide lysosomale. L'évaluation de 5 nouveautés n'a pas permis de déterminer leur balance bénéfices-risques (cotées "Ne peut se prononcer"). Par rapport aux années précédentes, on dénombre moins de nouveautés plus dangereuses qu'utiles (cotées "Pas d'accord").
Voici quelques points marquants de l'année 2018.
Médicaments de la sclérose en plaques : souvent très toxiques et mal évalués
En décembre 2018, nous avons rapporté un bilan, réalisé par une équipe italienne, de l'évaluation de la dizaine de médicaments de la sclérose en plaques mis sur le marché au cours des quinze dernières années (n° 422, p. 932). Au moment de leur mise sur le marché, la plupart de ces médicaments avaient été seulement comparés à un placebo et à court terme, sans connaître leurs effets sur l'évolution de la maladie à plus long terme. Les essais menés après l'autorisation de mise sur le marché (essais post-AMM) ont rarement permis de lever les nombreuses inconnues.
Ce constat va dans le même sens que les évaluations de Prescrire des médicaments utilisés dans la sclérose en plaques. Il s'agit le plus souvent de médicaments aux propriétés immunodépressives, peu efficaces sur l'évolution du handicap et à l'origine de nombreux effets indésirables graves. Trois figurent d'ailleurs dans la liste des médicaments que Prescrire conseille d'écarter en raison des risques disproportionnés auxquels ils exposent : l'alemtuzumab (Lemtrada°), le natalizumab (Tysabri°), et le tériflunomide (Aubagio°) (lire aussi "Pour mieux soigner, des médicaments à écarter : bilan 2019" dans la section "Neurologie").
En 2018, Prescrire a analysé trois dossiers de médicaments autorisés dans la sclérose en plaques : le daclizumab (Zinbryta°), la cladribine orale (Mavenclad°) et l'ocrélizumab (Ocrevus°). L'évaluation clinique initiale du daclizumab et les risques graves, voire mortels, mis en évidence dès ce stade, ont amené Prescrire à conclure qu'il est plus dangereux qu'utile (n° 415, p. 328-330). Un exemple typique de médicament qui n'aurait jamais dû être autorisé. De fait, il a été retiré du marché mondial, mais après maints atermoiements des agences du médicament et la mort de plusieurs patients.
Prescrire a aussi estimé que la cladribine orale (Mavenclad°) est plus dangereuse qu'utile (n° 416, p. 419). En septembre 2018, la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) française a abouti à une conclusion proche en cotant le service médical rendu de la cladribine "insuffisant", ce qui devrait, au moins en France, limiter l'exposition des patients à cette substance, tant qu'elle n'est pas remboursable par la Sécurité sociale, ni agréée aux collectivités (lire aussi "Cladribine : SMR "insuffisant" dans la sclérose en plaques").
Quant à l'ocrélizumab, Prescrire a évalué que sa balance bénéfices-risques n'est pas plus favorable que celle de l'interféron bêta à court terme, et incertaine à long terme, notamment en raison du risque de cancers mal cerné (n° 422, p. 890-892).
Médicaments dits orphelins : un filon pour les actionnaires
Cette année, à nouveau, la proportion de nouveaux médicaments "orphelins" ou de nouvelles indications dans lesquelles un médicament "orphelin" a été autorisé est particulièrement grande, concernant 22 nouveautés médicamenteuses sur 99.
Le statut de médicament "orphelin" existe dans l'Union européenne depuis l'année 2000 et vise, en théorie, à favoriser la recherche et le développement de médicaments améliorant la santé des patients atteints d'une maladie rare. En pratique, le progrès est rarement au rendez-vous.
Selon l'analyse de Prescrire, 11 des nouveautés analysées en 2018 ont apporté un progrès, mais celui-ci était le plus souvent minime. Trois seulement ont apporté un progrès notable : 1 cotée "Intéressant" : la sébélipase alfa (Kanuma°) dans le déficit en lipase acide lysosomale (n° 419, p. 657-660) ; et 2 cotées "Apporte quelque chose" : l'évérolimus (Votubia°) dans les crises d'épilepsie associées à la sclérose tubéreuse de Bourneville (n° 417, p. 499-501) et la midostaurine (Rydapt°) dans certaines leucémies aiguës myéloïdes (n° 421, p. 814-815). Un des nouveaux médicaments "orphelins" a été évalué plus dangereux qu'utile et a été ajouté à la liste des médicaments que Prescrire conseille d'écarter (lire aussi "Pour mieux soigner, des médicaments à écarter : bilan 2019" dans la section "Gastro-entérologie") : il s'agit de l'acide obéticholique (Ocaliva°) dans la cholangite biliaire primitive (n° 415, p. 326-327).
La balance bénéfices-risques n'a pas pu être déterminée, faute de données suffisantes, pour quatre nouveaux médicaments "orphelins". Parmi eux, le nusinersen (Spinraza°) dans l'amyotrophie spinale (n° 418, p. 569-570), dont l'insuffisance d'évaluation et les incertitudes sur ses effets à long terme n'ont pas empêché la firme d'obtenir des autorités médico-économiques un prix de remboursement par la Sécurité sociale exorbitant : environ 500 000 € de dépense médicamenteuse par patient pour la première année de traitement, dans le cadre de l'autorisation temporaire d'utilisation en France (n° 418, p. 561).
Les firmes qui développent un médicament "orphelin" bénéficient d'avantages réglementaires et financiers, notamment une procédure d'AMM accélérée, une exclusivité de commercialisation pendant 10 ans après l'AMM, des essais cliniques incluant un petit nombre de patients et donc en général moins coûteux. Certains médicaments "orphelins" se retrouvent ensuite autorisés dans plusieurs situations cliniques, ce qui élargit leur utilisation et les parts de marché pour les firmes concernées (n° 388, p. 135). Par exemple, en 2018, le lénalidomide (Revlimid°) a été autorisé dans une 3e indication en tant que médicament "orphelin", chez les patients atteints de myélome multiple (n° 414, p. 245-247), après des autorisations aussi en tant que médicament "orphelin" dans certains syndromes myélodysplasiques et lymphomes. En 2015, le lénalidomide était classé en 9e position du top 10 des médicaments les plus vendus au monde, avec un chiffre d'affaires mondial de 5,8 milliards de dollars US (n° 415, p. 386-387).
Médicaments en cancérologie : les insuffisances d'évaluation deviennent la routine
Cette année encore, beaucoup de nouveautés ont concerné des médicaments utilisés dans le traitement de cancers : 30 sur 99, dont 11 ont apporté un progrès, le plus souvent minime. Seulement 2 nouveautés ont apporté un progrès notable : le trioxyde d'arsenic (Trisenox°) dans la leucémie aiguë promyélocytaire (n° 411, p. 11-13) et la midostaurine (Rydapt°) dans certaines leucémies aiguës myéloïdes (n° 421, p. 814-815).
Les exigences d'évaluation de l'Agence européenne du médicament (EMA) sont manifestement à la baisse et de nombreux médicaments de cancérologie arrivent sur le marché, qu'ils apportent ou non un progrès. Il est devenu usuel qu'une AMM soit octroyée sur la base d'un seul essai clinique, fondé sur des critères d'évaluation biologiques ou radiologiques, sans corrélation assurée avec un allongement de la durée de vie ou une amélioration de la qualité de vie. La comparaison est souvent inadéquate et non aveugle.
Quelques exemples emblématiques : l'elotuzumab (Empliciti°) et l'ixazomib (Ninlaro°) dans le myélome multiple (n° 411, p. 13-15 ; n° 412, p. 95-97), l'ofatumumab (Arzerra°) dans la leucémie lymphoïde chronique (n° 411, p. 16-17), l'alectinib (Alecensa°) et le céritinib (Zykadia°) dans certains cancers bronchiques (n° 415, p. 337-339 ; n° 416, p. 417).
L'EMA se contente parfois de données non comparatives, comme pour le vénétoclax (Venclyxto°) dans les leucémies lymphoïdes chroniques (n° 416, p. 408-409).
Et quel que soit le progrès apporté, les nouveaux médicaments des cancers sont vendus par les firmes à des prix de plus en plus élevés (n° 412, p. 134).
En somme
En 2018, 13 nouveautés médicamenteuses sur les 99 ayant fait l'objet d'une synthèse avec cotation dans Prescrire ont apporté un progrès notable pour les patients, ce qui est plutôt mieux que les années précédentes.
Toutefois, on constate toujours un grand laxisme de l'EMA, notamment dans le domaine des cancers, et son incapacité à corriger l'utilisation spéculative des incitations à la recherche de traitements des maladies rares. Les coûts exorbitants de certains médicaments mettent en péril les systèmes de protection sociale et l'accès aux soins. Au bénéfice des actionnaires des firmes, mais aux dépens des patients.

Notes
a- Ce tableau comprend les nouvelles spécialités (hormis les copies) et les nouvelles indications ainsi que les réanalyses "avec plus de recul". Les lecteurs intéressés par les résultats des années 1981 à 2008 peuvent les retrouver dans le n° 213, p. 59 et le n° 304, p. 139.
Pour b, c, d, e, il s'agit :
b- – de la sébélipase alfa (Kanuma°) dans le déficit en lipase acide lysosomale (n° 419, p. 657-660) et de la naloxone nasale (Nalscue°) dans le traitement d'urgence des surdoses en opioïdes (n° 417, p. 485-488).
c- – du trioxyde d'arsenic (Trisenox°) dans la leucémie aiguë promyélocytaire (n° 411, p. 11-13) ;
– de l'association lidocaïne + prilocaïne (Fortacin°) dans l'éjaculation précoce (n° 415, p. 325-326) ;
– du canakinumab (Ilaris°) dans les fièvres récurrentes héréditaires (n° 415, p. 334-336) ;
– de l'association lopinavir + ritonavir en solution buvable (Kaletra°) chez les enfants âgés de 14 jours et plus infectés par le HIV (n° 416, p. 418) ;
– de l'évérolimus (Votubia°) dans les crises d'épilepsie associées à la sclérose tubéreuse de Bourneville (n° 417, p. 499-501) ;
– du captopril en solution buvable (Noyada°) (n° 418, p. 567-568) ;
– de l'étiléfrine (Étiléfrine Serb°) dans le priapisme (n° 420, p. 730-731) ;
– du sofosbuvir (Sovaldi°) associé ou non avec le lédipasvir (Harvoni°) chez les adolescents atteints d'une hépatite C chronique (n° 421, p. 808-809) ;
– de l'association glécaprévir + pibrentasvir (Maviret°) dans l'hépatite C chronique (n° 421, p. 810-813) ;
– de la midostaurine (Rydapt°) dans certaines leucémies aiguës myéloïdes (n° 421, p. 814-815) ;
– de l'association sofosbuvir + velpatasvir + voxilaprévir (Vosevi°) dans l'hépatite C chronique (n° 422, p. 886-889).
d- – du dabrafénib (Tafinlar°) associé avec le tramétinib (Mekinist°) dans certains cancers bronchiques (n° 412, p. 99-100) ;
– du pembrolizumab (Keytruda°) dans la maladie de Hodgkin en impasse thérapeutique (n° 414, p. 253-254) ;
– de l'acide obéticholique (Ocaliva°) dans la cholangite biliaire primitive (n° 415, p. 326-327) ;
– du daclizumab (Zinbryta°) dans la sclérose en plaques (n° 415, p. 328-330) ;
– du bezlotoxumab (Zinplava°) dans les récidives d'infection à Clostridium difficile (n° 416, p. 413-416) ;
– de la cladribine orale (Mavenclad°) dans la sclérose en plaques (n° 416, p. 419) ;
– de l'olmésartan (Alteis°, Olmetec°) dans l'hypertension artérielle chez les enfants (n° 418, p. 568) ;
– de la pénicillamine (Trolovol°) dans l'intoxication au plomb (n° 418, p. 574-575) ;
– du ribociclib (Kisqali°) dans les cancers du sein avancés ou métastasés (n° 421, p. 818-820).
e- – du lénalidomide (Revlimid°) en traitement d'entretien dans le myélome multiple (n° 414, p. 245-247) ;
– de l'eltrombopag (Revolade°) dans la thrombopénie immunitaire chronique dès l'âge d'un an (n° 416, p. 410-413) ;
– du nusinersen (Spinraza°) dans l'amyotrophie spinale (n° 418, p. 569-570) ;
– de l'avélumab (Bavencio°) dans le carcinome cutané à cellules de Merkel métastasé (n° 418, p. 571-573) ;
– du dinutuximab bêta (Qarziba°) dans les neuroblastomes (n° 420, p. 732-737).
