Le Palmarès 2019 des médicaments

Chaque mois, dans le "Rayon des Nouveautés", la Rédaction de Prescrire présente une analyse méthodique des données disponibles sur l'évaluation : des nouveaux médicaments, des médicaments déjà commercialisés et autorisés dans une autre situation clinique, et des nouvelles formes pharmaceutiques ou nouveaux dosages de médicaments existants. Nous revenons aussi parfois, avec "plus de recul", sur l'évaluation d'un médicament déjà présenté, quand des données plus récentes justifient une nouvelle analyse de sa balance bénéfices-risques. L'objectif est de distinguer parmi la masse des nouveautés commerciales, ce qui mérite d'être ajouté à la liste des moyens thérapeutiques utiles, ou de remplacer d'autres médicaments, et aussi de signaler des médicaments à écarter des soins.

Ce travail est mené selon des procédures rigoureuses par la Rédaction, en totale indépendance vis-à-vis des firmes du domaine de la santé et des institutions, son financement s'appuyant exclusivement sur les abonnés à Prescrire, sans subvention ni publicité.

Ce Palmarès des médicaments est déterminé à partir des évaluations publiées dans Prescrire au cours de l'année 2019. Le progrès primé dans ce Palmarès peut consister en un supplément d'efficacité, une moindre fréquence ou une moindre gravité des effets indésirables (sous réserve d'une efficacité similaire), ou la possibilité d'utiliser un médicament utile aux soins de manière plus sûre ou plus pratique.

En 2019, pas de Pilule d'Or, mais six médicaments primés

Cette année, comme les quatre années précédentes, aucune nouveauté ne constitue un progrès thérapeutique décisif à même de justifier une Pilule d'Or. Néanmoins, six médicaments sont primés dans le Palmarès 2019.

Émicizumab et hémophilie A avec "inhibiteurs du facteur VIII" : prévient les hémorragies

L'hémophilie A est due à un déficit en facteur VIII, un des facteurs de la coagulation. En prévention ou en traitement des hémorragies chez les patients atteints d'hémophilie A, administrer le facteur VIII manquant est le traitement de référence. Un effet indésirable majeur de ce traitement est la production par l'organisme d'"inhibiteurs du facteur VIII", des anticorps qui rendent le facteur VIII administré inefficace. Dans cette situation, une option est d'administrer des substances, qui visent à court-circuiter l'étape de coagulation qui dépend du facteur VIII. Ces substances sont appelées agents "by-passants".

L'émicizumab est un anticorps monoclonal qui agit au même niveau que le facteur VIII dans la cascade de la coagulation, et qui n'est pas neutralisé par les "inhibiteurs du facteur VIII". En présence de ces inhibiteurs, l'émicizumab est efficace en prévention des hémorragies, y compris chez les patients ayant des saignements fréquents sous agents "by-passants". Il est administré en injection sous-cutanée une fois par semaine (voire une fois toutes les 4 semaines), alors qu'un traitement préventif par agents "by-passants" nécessite des perfusions intraveineuses plusieurs fois par semaine. C'est pourquoi la spécialité Hemlibra° figure au Tableau d'Honneur du Palmarès 2019.

Le progrès est toutefois à relativiser compte tenu du manque d'évaluation dans certaines situations cliniques, des thromboses auxquelles il expose, des troubles allergiques à prévoir et des nombreuses inconnues concernant les effets indésirables.

Thérapies CAR-T et hémopathies en impasse thérapeutique : allongement probable de la durée de vie, à confirmer

Une thérapie dite CAR-T (pour chimeric antigen receptor T-cells en anglais) consiste à administrer au patient ses propres lymphocytes, après les avoir génétiquement modifiés afin qu'ils expriment à leur surface un récepteur spécifique censé conduire à la liaison des lymphocytes T aux cellules tumorales, pour les détruire.

Deux thérapies CAR-T figurent au Tableau d'Honneur du Palmarès 2019 : le tisagenlecleucel (Kymriah°) chez des enfants et de jeunes adultes atteints d'une leucémie aiguë lymphoblastique à cellules B en situation d'impasse thérapeutique, et l'axicabtagène ciloleucel (Yescarta°) chez des patients atteints de certains lymphomes à grandes cellules B en situation d'impasse thérapeutique. Dans ces situations cliniques, le pronostic est sombre, avec une durée de vie qui est souvent de quelques mois seulement. Le recours à une thérapie CAR-T semble allonger la durée de vie : dans les essais, au moins la moitié des patients étaient toujours en vie 1 an à 2 ans après avoir reçu une telle thérapie. L'ampleur du progrès est toutefois difficile à déterminer, car l'évaluation repose sur des essais non comparatifs incluant peu de patients. L'évaluation clinique de ces thérapies est à poursuivre.

Une thérapie CAR-T expose à de très nombreux effets indésirables, souvent graves et parfois mortels : syndromes de libération de cytokines, troubles neurologiques, infections, atteintes hématologiques.

La préparation est spécifique à chaque patient, ce qui nécessite des procédures particulières pour éviter les confusions.

Ruxolitinib et trastuzumab emtansine : progrès démontré par un complément d'évaluation

Deux médicaments dont l'évaluation clinique initiale était insuffisante pour déterminer leur balance bénéfices-risques sont cités au Palmarès 2019, soit plusieurs années après leur commercialisation, car des données plus récentes démontrent un progrès.

Ainsi, chez les patients atteints d'une myélofibrose symptomatique, un complément d'évaluation a montré que le ruxolitinib (Jakavi°), un inhibiteur de janus kinases, réduit le volume de la rate chez environ la moitié des patients, tant que dure le traitement. Dans cette situation, la rate est parfois très volumineuse, ce qui altère la qualité de vie. Un effet sur les autres symptômes n'est pas démontré. Le ruxolitinib allonge probablement la durée de vie. En contrepartie, il expose notamment à des infections, des aggravations des atteintes hématologiques, des troubles neurologiques. Les arrêts du traitement à cause d'un effet indésirable sont fréquents.

Chez des femmes atteintes d'un cancer du sein non opérable, surexprimant la protéine HER-2, et qui ont déjà reçu un taxane et du trastuzumab, la trastuzumab emtansine (Kadcyla°, un cytotoxique lié à un anticorps monoclonal dirigé contre la protéine HER-2) a allongé la durée médiane de survie d'environ 4 mois à 7 mois par rapport à d'autres antitumoraux, dans deux essais randomisés. Cet effet modeste est à mettre en balance avec ses effets indésirables graves, dont des insuffisances cardiaques, des thrombopénies, des hémorragies et des atteintes hépatiques. Une confusion entre la trastuzumab emtansine et le trastuzumab est parfois à l'origine de morts.

Pembrolizumab et certains cancers bronchiques en première ligne : en monothérapie ou en association selon l'expression de la protéine PCD-L1

Chez des patients atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules métastasé, dans quatre essais cliniques randomisés en première ligne, le pembrolizumab (Keytruda°), un immunostimulant anti-PCD-1, a allongé la durée médiane de survie de plusieurs mois. Quand la majorité des cellules tumorales expriment la protéine PCD-L1, le pembrolizumab est à utiliser en monothérapie, sans ajout d'autres antitumoraux. Quand moins de la moitié des cellules tumorales expriment la protéine PCD-L1, l'effet favorable du pembrolizumab est surtout démontré en ajout à une chimiothérapie à base d'un sel de platine. Ces données ont motivé la citation de Keytruda° au Palmarès 2019.

Les effets indésirables du pembrolizumab sont principalement d'origine immunologique, avec atteintes possibles de multiples organes : pneumopathies inflammatoires, myocardites, colites, stomatites, gastrites, pancréatites, hépatites, néphrites, etc.

©Prescrire

Pilule d'Or 2019

La Pilule d'Or est attribuée aux médicaments qui constituent un progrès thérapeutique décisif dans un domaine où patients et soignants étaient totalement démunis.

2019 • NON ATTRIBUÉE

Tableau d'honneur en 2019

Les médicaments inscrits au Tableau d'Honneur apportent un progrès net pour certains patients par rapport aux moyens thérapeutiques déjà disponibles, avec certaines limites. Par ordre alphabétique :

HEMLIBRA° (émicizumab)

Roche

Prévention des hémorragies chez les patients atteints d'une hémophilie A avec "inhibiteurs du facteur VIII" (n° 430)

• KYMRIAH° (tisagenlecleucel)

Novartis Pharma

Leucémie aiguë lymphoblastique à cellules B en impasse thérapeutique chez des enfants et de jeunes adultes (n° 428)

• YESCARTA° (axicabtagène ciloleucel)

Kite Pharma (représentant en France : Gilead Sciences)

Certains lymphomes à grandes cellules B en impasse thérapeutique (n° 428)

Cités au Palmarès en 2019

Les médicaments Cités au Palmarès contribuent à améliorer, modestement, les moyens de prise en charge des patients. Par ordre alphabétique :

JAKAVI° (ruxolitinib)

Novartis Pharma

Myélofibrose symptomatique (n° 351 et n° 425, avec plus de recul)

• KADCYLA° (trastuzumab emtansine)

Roche

Cancer du sein HER-2 positif, non opérable, chez des femmes qui ont déjà reçu un taxane et du trastuzumab (n° 371 et n° 427, avec plus de recul)

• KEYTRUDA° (pembrolizumab)

MSD

Cancer bronchique non à petites cellules, métastasé, en première ligne (n° 431 et n° 434)