Résumé
Un progrès décisif, quelques progrès pratiques pour les enfants et, pour le reste, beaucoup de nouveautés de peu d'intérêt.
Tous les mois, Prescrire publie une analyse indépendante et méthodique des nouveautés médicamenteuses : nouvelles substances, nouvelles indications, nouvelles formes pharmaceutiques, etc. L'objectif est d'aider les abonnés à distinguer parmi les nouveautés celles qui apportent un progrès pour mieux soigner. Prescrire suit aussi de près, entre autres, les réévaluations de la balance bénéfices-risques des médicaments, les effets indésirables, les pénuries et les arrêts de commercialisation.
Globalement, moins de progrès tangibles par rapport aux années précédentes
En 2024, 122 nouveautés médicamenteuses ont fait l'objet d'une cotation par Prescrire (voir le tableau "10 ans de cotations dans Prescrire").
Tableau. 10 ans de cotations dans Prescrire

Comparaison des progrès (en proportion) de l'année 2024 par rapport aux 9 années précédentes

©Prescrire
Seules 30 nouveautés médicamenteuses apportent un progrès : décisif pour 1 d'entre elles (cotation "Bravo"), avec le fexinidazole (Fexinidazole Winthrop°) dans la maladie du sommeil à Trypanosoma brucei rhodesiense, soit moins de 1 % de l'ensemble des nouveautés évaluées ; notable pour 6 autres (cotation "Apporte quelque chose"), soit 5 % de l'ensemble des nouveautés évaluées ; et modeste pour les 23 autres (cotation "Éventuellement utile"), soit 19 %. Le nombre de nouveautés représentant un progrès au moins notable (cotation "Apporte quelque chose" ou mieux) est en recul par rapport à ce qui a été observé en moyenne au cours des 9 années précédentes.
Près de la moitié des nouveautés évaluées (60, soit 49 %) n'ont pas apporté de progrès démontré (cotation "N'apporte rien de nouveau"). Pour 14 nouveautés (11 %), les données laissent perplexes (cotation "La Rédaction ne peut se prononcer"). Et 18 nouveautés (15 %) ont été considérées comme plus dangereuses qu'utiles dans la situation clinique concernée (cotation "Pas d'accord"), une proportion qui apparaît supérieure à celle qui a été observée ces dernières années.
Quelques progrès pratiques pour les enfants
Parmi les nouveautés, 2 ont apporté un progrès pratique net pour les enfants. C'est le cas du lipegfilgrastim (Lonquex°) devenu autorisé chez les enfants, et qui réduit le nombre d'injections à une seule par cycle de chimiothérapie, avec une présentation plus adaptée aux enfants pesant moins de 45 kg. C'est le cas aussi du nouveau dosage à 1,88 mg de leuproréline (Enantone LP°) correspondant à la dose à injecter mensuellement chez les rares enfants ayant une puberté précoce et pesant moins de 20 kg. D'autres ont apporté un petit progrès pratique, toujours pour des enfants, notamment : la mise à disposition de comprimés dispersibles contenant 5 mg de dolutégravir + 60 mg d'abacavir + 30 mg de lamivudine (Triumeq°) pour les enfants infectés par le VIH pesant entre 14 et 25 kg, qui évitent l'utilisation de 2 voire 3 spécialités différentes ; et celle de gélules à 100 mg de trientine (Cufence°), parfois utiles pour adapter la dose quotidienne du traitement.
Des inhibiteurs de Janus kinases le plus souvent à écarter dans les maladies inflammatoires chroniques
Pour 4 inhibiteurs de Janus kinases évalués cette année dans 4 maladies inflammatoires chroniques, l'efficacité est trop faible ou insuffisamment démontrée pour justifier d'exposer les patients à leurs effets indésirables cardiovasculaires (dont des thromboses veineuses et artérielles) et à un surcroît d'infections graves et de cancers. Il s'agit du baricitinib et du ritlécitinib dans la pelade, de l'upadacitinib dans la maladie de Crohn et dans la spondyloarthrite axiale dite non radiographique, et du tofacitinib dans la spondyloarthrite axiale dite radiographique.
AMM conditionnelles : des firmes font pression sur l'EMA
En 2024, l'Agence européenne du médicament (EMA) s'est prononcée, à raison, contre le renouvellement de 3 autorisations de mise sur le marché (AMM) conditionnelles. Ce type d'AMM est octroyé sur la base de données incomplètes, pour répondre « à des besoins médicaux non satisfaits », et dans l'attente de données supplémentaires, souvent d'efficacité. Dans les 3 cas, les données obtenues après l'AMM n'ont pas confirmé l'efficacité présumée des médicaments. Il s'agit de : l'ataluren (Translarna°) dans la myopathie de Duchenne ; du bélantamab mafodotine (Blenrep°) dans le myélome multiple, qui a fait l'objet d'un arrêt de commercialisation début 2024 ; et de l'acide obéticholique (Ocaliva°) dans la cholangite biliaire primitive (1à3).
Dans le cas de l'ataluren, la Commission européenne n'a pas retiré l'AMM et a demandé, de façon inhabituelle, un réexamen du dossier : l'EMA a maintenu sa position mi-2024, puis de nouveau en octobre 2024 après un énième appel de la firme. La décision finale de la Commission européenne n'a pas été publiée au 30 décembre 2024 (2).
Concernant l'acide obéticholique, la Commission européenne a révoqué l'AMM conditionnelle, mais cette décision a été suspendue temporairement par la Cour de justice européenne en septembre 2024. La firme a en effet argué que l'EMA n'avait pas pris en compte « l'abondance de preuves en vie réelle » (3). Mais le retrait d'AMM a finalement été confirmé en décembre 2024 (4). Prescrire inscrit l'acide obéticholique sur la liste des médicaments à écarter des soins depuis 2019, car il aggrave souvent les principaux symptômes de la maladie (prurit et fatigue) et expose peut-être à des effets indésirables hépatiques graves, parfois mortels (5).
Pour un 4e médicament, le pralsétinib (ex-Gavreto°), c'est la firme qui a demandé le retrait de l'AMM conditionnelle fin 2024, après le constat d'un surcroît d'infections graves dans un essai clinique (lire aussi "Pralsétinib : infections graves, même sans neutropénie"). L'AMM d'un 5e médicament, le darvadstrocel (ex-Alofisel°), autorisé de manière imprudente chez les patients atteints de fistule périanale, a été retirée fin 2024 à la demande de la firme, au vu des résultats du second essai clinique (6).
Médicaments plus dangereux qu'utiles : un de moins, et un autre bientôt retiré ?
Mi-2024, l'AMM européenne de l'ulipristal 5 mg (Esmya°), utilisé dans certains fibromyomes utérins, a enfin été retirée, à la demande de la firme. En prise continue dans cette situation clinique, les données d'efficacité n'étaient pas probantes alors que le médicament expose à des atteintes hépatiques mortelles.
Au 30 décembre 2024, une réévaluation de la balance bénéfices-risques de l'association bupropione + naltrexone (Mysimba°) autorisée dans la perte de poids est en cours, à la demande de la Commission européenne. La firme n'a pas rempli son obligation de réaliser un essai post-AMM visant à évaluer les effets indésirables cardiovasculaires à long terme de cette association. Ce médicament, dont l'efficacité est modeste, expose à des effets indésirables cardiovasculaires et neuropsychiques disproportionnés, et il serait grand temps qu'il soit retiré du marché.
Il s'agit de 2 médicaments que Prescrire conseille d'écarter des soins depuis des années (5).
En somme
En 2024, en dehors d'un progrès décisif pour les soins et de quelques progrès pratiques pour certains enfants, le bilan est maigre. Environ 1 nouveauté médicamenteuse sur 7 constitue une régression thérapeutique, ce qui est préoccupant, d'autant plus qu'une fois l'AMM octroyée, les retraits de médicaments sont rares et trop souvent tardifs.
APPORTE QUELQUE CHOSE
bicarbonate de sodium (Bicafres°) dans l'acidose métabolique liée à l'insuffisance rénale chronique (n° 487).
darolutamide (Nubeqa°) associé avec le docétaxel dans le cancer de la prostate hormonosensible métastasé (n° 485).
dostarlimab (Jemperli°) dans les cancers de l'endomètre avancés ou récidivants avec anomalies de réparation de l'ADN en 1re ligne (n° 492).
dupilumab (Dupixent°) dans le prurigo nodulaire (n° 486).
leuproréline (Enantone°) dans la puberté précoce (n° 486).
lipegfilgrastim (Lonquex°) dans les neutropénies liées à une chimiothérapie à partir de l'âge de 2 ans (n° 486).
ÉVENTUELLEMENT UTILE
abiratérone (Abiraterone Sandoz°, Ibiron°) en comprimés à 1 000 mg dans le cancer de la prostate métastasé (n° 485).
apalutamide (Erleada°) dans le cancer de la prostate (n° 491).
cabotégravir (Apretude°) dans la prophylaxie pré-exposition au VIH (n° 494).
cémiplimab (Libtayo°) dans les cancers du col de l'utérus qui s'aggravent pendant ou après une chimiothérapie (n° 483).
corifollitropine alfa (Elonva°) dans l'hypogonadisme hypogonadotrope chez les adolescents de sexe masculin (n° 484).
dabrafénib + tramétinib (Finlee° + Spexotras°) dans certains gliomes avec mutation BRAF V600E (n° 494).
dolutégravir + abacavir + lamivudine (Triumeq°) chez les enfants pesant 14 kg ou plus infectés par le VIH (n° 485).
efgartigimod alfa (Vyvgart°) dans la myasthénie auto-immune généralisée (n° 483).
évinacumab (Evkeeza°) dans l'hypercholestérolémie familiale homozygote dès l'âge de 5 ans (n° 492).
immunoglobulines humaines polyvalentes (Gamunex°) en prévention de la rougeole (n° 485).
lidocaïne gel (Glydo°) dans la cystite interstitielle et les explorations par voie rectale (n° 490).
lidocaïne gel (Lidbree°) pour l'anesthésie locale intra-utérine (n° 491).
lorazépam injectable (Lorazepam Xilmac°) et prémédication ou états aigus d'anxiété et d'agitation (n° 489).
nifédipine (Mapakna LP°) dans la menace d'accouchement prématuré (n° 489).
pegvisomant 25 mg et 30 mg (Somavert°) dans l'acromégalie (n° 483).
posaconazole (Noxafil°) dans l'aspergillose invasive en 1re ligne (n° 493).
risankizumab (Skyrizi°) dans la maladie de Crohn après échec d'au moins un autre immunodépresseur (n° 488).
ruxolitinib en crème (Opzelura°) dans le vitiligo (n° 490).
sacituzumab govitécan (Trodelvy°) dans le cancer du sein métastasé avec récepteurs hormonaux, après plusieurs échecs (n° 488).
timolol + latanoprost en collyre sans conservateur (Fixapost°) dans l'hypertension intraoculaire (n° 489).
trientine gélules à 100 mg (Cufence°) dans la maladie de Wilson (n° 493).
ustékinumab en stylos préremplis (Stelara°) dans diverses maladies inflammatoires chroniques (n° 494).
vaccin zona gE/AS01B (Shingrix°) en prévention du zona et des névralgies post-zostériennes (n° 489).
PAS D'ACCORD
baricitinib (Olumiant°) dans la pelade sévère chez les adultes (n° 490).
brimonidine en collyre à 0,25 mg/ml (Lumobry°) dans la rougeur oculaire (n° 489).
cipaglucosidase alfa + miglustat (Pombiliti° + Opfolda°) dans la maladie de Pompe "tardive" (n° 491).
eskétamine (Spravato°) dans la dépression après échec de plusieurs antidépresseurs ou avec risque suicidaire élevé (n° 494).
fenfluramine (Fintepla°) dans le syndrome de Lennox-Gastaut (n° 487).
futibatinib (Lytgobi°) dans les cholangiocarcinomes inopérables ou métastasés, avec mutation FGFR2, en 2e ligne (n° 490).
ivosidénib (Tibsovo°) dans certains cholangiocarcinomes en 2e ligne ou plus (n° 490).
nétarsudil (Rhokiinsa°), nétarsudil + latanoprost (Roclanda°) dans le glaucome chronique (n° 486).
ritlécitinib (Litfulo°) dans la pelade sévère chez les adultes et les adolescents (n° 493).
sécukinumab (Cosentyx°) dans l'hidrosadénite suppurée (n° 490).
sélinexor (Nexpovio°) dans le myélome multiple en rechute ou réfractaire (n° 487).
solifénacine + tamsulosine (Vecalmys°) dans l'hypertrophie bénigne de la prostate (n° 488).
sutimlimab (Enjaymo°) dans la maladie des agglutinines froides (n° 490).
ténofovir alafénamide + emtricitabine + elvitégravir + cobicistat (Genvoya°) dans l'infection par le VIH dès l'âge de 2 ans (n° 489).
tofacitinib (Xeljanz°) dans la spondyloarthrite axiale dite radiographique (n° 484).
upadacitinib (Rinvoq°) dans la spondyloarthrite axiale dite non radiographique (n° 484).
upadacitinib (Rinvoq°) dans la maladie de Crohn (n° 488).
valoctocogène roxaparvovec (Roctavian°) dans l'hémophilie A (n° 491).
Sources
1- Commission européenne "Décision d'exécution de la Commission du 23 février 2024 refusant le renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle du médicament orphelin à usage humain "Blenrep - belantamab mafodotin" (…)" + "Annexe" - Conclusions scientifiques 23 février 2024 : 7 pages.
2- EMA "Translarna : EMA re-confirms non-renewal of authorisation of Duchenne muscular dystrophy medicine" 18 octobre 2024 : 10 pages.
3- APMnews "La révocation de l'AMM conditionnelle européenne d'Ocaliva° suspendue (actualisation)" 5 septembre 2024 : 1 page.
4- EMA "Revocation of conditional marketing authorisation for Ocaliva°" 3 décembre 2024 : 3 pages.
5- Prescrire Rédaction "Pour mieux soigner, des médicaments à écarter : bilan 2025" Rev Prescrire 2024 ; 44 (494) : 931-945.
6- EMA "Alofisel withdrawn from the EU market" 13 décembre 2024 : 3 pages.