Déséquilibre

Résumé

Évaluer la balance bénéfices-risques d'un traitement requiert une recherche documentaire spécifique des données d'évaluation des effets indésirables, au même titre que pour l'efficacité.

Une synthèse méthodique avec méta-analyse, publiée début 2018, a comparé les antidépresseurs disponibles pour le traitement d'un épisode dépressif majeur chez un adulte (1). L'équipe Prescrire vous propose de lire des extraits d'un compte rendu publié de cette synthèse, puis de répondre à deux questions. Suivent des propositions de réponses et des commentaires de la Rédaction.

Extraits de la publication d'un compte rendu d'une synthèse d'essais

« Évaluation comparative de l'efficacité et de l'acceptabilité de 21 médicaments antidépresseurs dans le traitement initial d'un épisode dépressif majeur : synthèse méthodique et méta-analyse en réseau

(…) Dans cette étude, nous avons voulu faire une synthèse méthodique et une méta-analyse en réseau pour informer les cliniciens, en comparant différents antidépresseurs pour le traitement initial d'un épisode dépressif majeur chez des adultes atteints d'un trouble unipolaire (…).

Méthodes

Stratégie de recherche et critères de sélection

(…) Nous avons interrogé le registre central Cochrane des essais comparatifs, Cinhal, Embase, la base de données Lilacs, Medline, Medline In-Process, PsycINFO, AMED, le National Research Register britannique, et Psyndex depuis leur date de création jusqu'au 8 janvier 2016, sans restriction de langue. Nous avons utilisé les termes "dépression" OU "dysthymie" OU "trouble de l'adaptation" OU "trouble de l'humeur" OU "trouble affectif" OU "symptômes affectifs" combinés avec une liste de tous les antidépresseurs inclus dans cette étude.

Nous avons inclus les essais comparatifs randomisés en double aveugle (ECR) comparant les antidépresseurs par voie orale, avec un placebo ou un autre antidépresseur actif en monothérapie pour le traitement initial d'adultes (…) ayant un diagnostic principal d'épisode dépressif majeur (…). De plus, nous avons inclus tous les antidépresseurs de deuxième génération autorisés par les agences de régulation des États-Unis d'Amérique, d'Europe, ou du Japon (…).

L'interrogation des bases de données électroniques a été complétée par des recherches manuelles d'essais cliniques randomisés publiés, non publiés, et en cours dans les registres internationaux d'essais, les sites internet d'agences des médicaments, et des journaux scientifiques clés dans ce domaine. Par exemple, nous avons interrogé ClinicalTrials.gov en utilisant le terme de recherche "trouble dépressif majeur" combiné avec une liste de tous les antidépresseurs inclus dans cette étude. Nous avons contacté toutes les firmes pharmaceutiques commercialisant des antidépresseurs et demandé des informations supplémentaires non publiées à propos des études avant et après autorisation de mise sur le marché [AMM], avec une attention particulière portée aux antidépresseurs de deuxième génération. Nous avons aussi contacté les auteurs des études et les firmes pharmaceutiques pour compléter les publications originales incomplètes ou fournir des données issues d'études non publiées. (…)

Critères d'évaluation

Nos critères principaux d'évaluation ont été l'efficacité (taux de réponse mesuré par le nombre total de patients ayant une réduction supérieure ou égale à 50 % d'un score total, sur une échelle standardisée d'évaluation de la dépression par un observateur) et l'acceptabilité (arrêts de traitement mesurés par la proportion de patients l'ayant arrêté quelle qu'en soit la raison) (…).

Résultats

(…) Globalement, 522 essais cliniques comparatifs, randomisés, en groupes parallèles, en double aveugle, (incluant 116 477 patients) réalisés entre 1979 et 2016, et comparant 21 antidépresseurs ou placebo ont été inclus dans l'analyse (…). 409 (78 %) des 522 essais ont été financés par des firmes pharmaceutiques. Nous avons retrouvé des informations non publiées pour 274 (52 %) des essais inclus. (…) » (1).

Notes

1- Cipriani A et coll. "Comparative efficacy and acceptability of 21 antidepressant drugs for the acute treatment of adults with major depressive disorder : a systematic review and network meta-analysis" Lancet 2018 ; 391 : 1357-1366.

 Question N° 1 - La recherche documentaire sur laquelle repose cette méta-analyse est-elle suffisamment exhaustive pour évaluer l'efficacité des médicaments antidépresseurs ?

 Question N° 2 - Cette recherche documentaire est-elle adaptée pour estimer au mieux la balance bénéfices-risques des antidépresseurs ?

Propositions de réponses et commentaires de la Rédaction

Question n° 1 Proposition de réponse

Cette méta-analyse a reposé sur une recherche des essais publiés et aussi des essais non publiés pour limiter un biais de publication. Elle a été réalisée à partir de l'interrogation des principales bases de données bibliographiques (Medline, Embase) dont certaines plus spécifiques (PsycINFO), des sites d'organismes (agences d'évaluation des médicaments), des registres d'essais cliniques (Clinical Trials, Cochrane). Les firmes pharmaceutiques ont aussi été interrogées, ainsi que les auteurs des publications. Une recherche complémentaire a été effectuée à partir des publications.

En somme, la recherche documentaire de cette synthèse apparaît de bonne qualité méthodologique pour rassembler les essais dont l'objectif était d'évaluer l'efficacité des traitements, notamment parce qu'elle a été conçue pour limiter le biais de publication.

Question n° 2 Proposition de réponse

Les critères d'évaluation principaux de cette étude sont l'efficacité et les arrêts prématurés de traitement toutes causes confondues. Ils ne permettent pas d'évaluer au mieux la balance bénéfices-risques des antidépresseurs.

Le critère retenu pour l'efficacité exclut les résultats des essais qui n'ont pas utilisé une échelle d'évaluation de la dépression par un observateur. Cela facilite une synthèse chiffrée globale des résultats. Mais cela exclut des travaux reposant sur le ressenti/vécu des patients.

Les arrêts de traitement ne distinguent pas des motifs aussi différents qu'une efficacité insuffisante et des effets indésirables trop gênants.

Les critères d'analyse des effets indésirables rapportés dans les essais recensés ne sont pas précisés. Il n'est pas décrit de stratégie de recherche documentaire complémentaire ciblée sur l'évaluation des effets indésirables de ces médicaments, comme par exemple une recherche dans les bases de données étatsunienne et européenne des notifications d'effets indésirables. Or, les essais cliniques sont souvent peu informatifs sur les effets indésirables. Les essais cliniques, et leur méta-analyse, permettent seulement de les quantifier regroupés en de larges catégories. Leur recueil n'est pas toujours systématique. Les participants sont souvent très sélectionnés pour éviter la survenue d'événements graves. Ils sont suivis durant une période courte par rapport à la durée réelle d'exposition des patients, hors des essais. D'autres quantifications des effets indésirables sont à rechercher, à partir d'études pharmacoépidémiologiques.

En pratique

Cette synthèse, présentée comme globale et visant à « informer les cliniciens en comparant différents antidépresseurs », ne permet pas de rassembler les éléments d'évaluation des effets indésirables de chaque antidépresseur. Elle ne permet pas de distinguer les antidépresseurs plus adaptés à certaines caractéristiques du patient, comme par exemple des antécédents cardiovasculaires ou de crises convulsives. Les effets indésirables rares et graves ne sont pas pris en compte, comme par exemple les insuffisances hépatiques mortelles avec l'agomélatine.

Dans cette synthèse méthodique, les projecteurs ont été mis sur l'efficacité au détriment des effets indésirables, c'est-à-dire sur un seul plateau de la balance bénéfices-risques.

©Prescrire

Pour aller plus loin Prescrire Rédaction "Déterminer la balance bénéfices-risques d'une intervention : pour chaque patient" Rev Prescrire 2014 ; 34 (367) : 381-385. • Prescrire Rédaction "Évaluer les risques d'un traitement : prendre en compte les données cliniques, la pharmacologie, et les particularités du patient" Rev Prescrire 2009 ; 29 (312) : 778-780. • Prescrire Rédaction "Bilan des médicaments à écarter : psychiatrie - dépendances" Rev Prescrire 2019 ; 39 (424) : 140-141.