Résumé
Une absence de preuves d'effets d'une intervention ne signifie pas une absence d'effets.
Une synthèse méthodique, publiée début 2018, a recensé les essais ayant évalué l'efficacité d'une réduction des apports en sel chez des patients qui avaient une insuffisance cardiaque. L'équipe Prescrire vous propose de lire des extraits d'un compte rendu publié de cette synthèse, puis de répondre à deux questions. Suivent une proposition de réponse et des commentaires de la Rédaction.
Extraits de la publication d'un compte rendu d'une synthèse d'essais
« Apports réduits en sel dans l'insuffisance cardiaque. Une synthèse méthodique.
(…) la réduction des apports en sel a une efficacité incertaine. (…) Une synthèse méthodique sur les effets de la réduction des apports en sel chez les patients qui ont une insuffisance cardiaque est donc nécessaire.
Méthodes
Nous avons réalisé une synthèse méthodique selon les principes du Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions et nous avions prévu de réaliser une méta-analyse s'il y avait suffisamment de données solides disponibles. (…) Nous avons inclus les essais comparatifs randomisés qui ont évalué les effets d'apports réduits en sel chez des adultes (âge supérieur ou égal à 18 ans)atteints d'insuffisance cardiaque. (…)
Les critères principaux d'évaluation ont été la mortalité d'origine cardiovasculaire, la mortalité toutes causes confondues et des événements indésirables (accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, hyponatrémie et hypernatrémie). Les critères secondaires ont été l'hospitalisation, la durée d'hospitalisation, la modification des signes et symptômes d'insuffisance cardiaque (dyspnée selon la classification de la New York Heart Association [NYHA]), la mesure de la réduction des apports en sel et son observance, et la modification de la pression artérielle.
Résultats
(…) Nous avons inclus neuf essais totalisant 479 participants.
(…) Aucune des études incluses n'a apporté de données suffisantes sur la mortalité d'origine cardiovasculaire. Quatre essais ont apporté des informations sur la mortalité toutes causes confondues mais les données étaient insuffisantes pour effectuer une méta-analyse. Chez des patients hospitalisés, Aliti et coll. (n = 75) n'ont rapporté aucun mort dans les groupes de l'essai pendant la durée de l'essai ; Velloso et coll. (n = 32) ont rapporté 1 mort dans chaque groupe de l'essai (une mort subite et un choc septique lors d'une infection pulmonaire), mais ont estimé qu'elles n'étaient pas liées à l'intervention. Dans les essais réalisés chez des patients non hospitalisés, Philipson et coll. (n = 30) ont rapporté 1 mort dans chaque groupe de l'essai, et Colín-Ramírez et coll. (n = 38) ont rapporté 1 mort dans le groupe témoin. Aucun de ces auteurs n'a rapporté la cause de la mort. Aucune des études incluses n'a rapporté de données sur les accidents vasculaires cérébraux, les infarctus du myocarde, les hyponatrémies ou les hypernatrémies. (…)
Discussion
(…) Nous n'avons trouvé aucune donnée pertinente concernant les effets d'apports alimentaires réduits en sel sur (…) la mortalité toutes causes confondues, les hospitalisations ou la durée d'hospitalisation. Trois essais chez des patients non hospitalisés ont rapporté une tendance à l'amélioration des signes cliniques et des symptômes d'insuffisance cardiaque avec une réduction des apports alimentaires en sel (…) » (1).
bibliographie
1- Mahtani KR et coll. "Reduced salt intake for heart failure. A systematic review" JAMA Intern Med 2018 ; 178 (12) : 1693-1700.
Question n° 1. Concernant l'efficacité de la réduction des apports en sel sur la mortalité des patients qui ont une insuffisance cardiaque, que pouvez-vous conclure à partir de cette synthèse méthodique ?
Question n° 2. Quels autres types de données permettent d'évaluer l'efficacité sur la mortalité d'une réduction des apports en sel dans cette situation ?
Propositions de réponse et commentaires de la Rédaction
Question n° 1
Les essais rassemblés dans cette synthèse méthodique ne prouvent pas que la réduction des apports en sel réduit la mortalité des patients insuffisants cardiaques. Mais cette synthèse méthodique ne prouve pas non plus que la réduction des apports en sel n'a pas d'effet sur cette mortalité. Elle témoigne seulement de l'absence de preuves suffisantes pour conclure à un effet ou à une absence d'effets de cette intervention sur la mortalité.
Neuf essais de faibles effectifs ont été inclus dans cette synthèse. Aucun de ces essais n'a été conçu pour évaluer la mortalité d'origine cardiovasculaire. Et les morts ont été trop peu nombreuses pour conclure à une éventuelle modification de la mortalité globale par l'intervention.
Quand une étude (ou un essai) ne montre pas de différence statistiquement significative entre deux interventions, mieux vaut envisager deux cas de figure avant de conclure : soit cette différence n'existe pas ; soit une différence existe mais elle n'a pas pu être mise en évidence, par exemple en raison d'un manque de puissance statistique. La puissance statistique d'une étude est notamment liée au nombre de patients inclus et à la fréquence des événements étudiés.
Question n° 2
Les autres données à prendre en compte sont les données épidémiologiques, notamment celles issues d'études de cohorte recherchant des associations entre consommation de sel et événements cardiovasculaires, et des données physiopathologiques ou pharmacologiques.
On considère que le niveau de preuves est fort quand plusieurs essais comparatifs randomisés en double aveugle, de bonne qualité méthodologique, ont des résultats concordants. Quand de telles données sont difficiles à obtenir, comme par exemple dans les interventions visant à modifier un comportement, un niveau de preuves acceptable est parfois obtenu par la convergence d'un faisceau d'arguments qui ont isolément un niveau de preuves moindre, notamment des données issues d'études de cohorte, voire des études cas-témoins, ou des données pharmacologiques.
Des études de cohorte ont montré qu'une réduction des apports en sel diminue la pression artérielle et, vraisemblablement, la fréquence des événements cardiovasculaires. Chez les patients qui ont une insuffisance cardiaque, une consommation excessive de sel est un facteur d'aggravation. Et, dans trois des essais inclus dans cette synthèse, les symptômes d'insuffisance cardiaque ont semblé améliorés par la réduction des apports en sel. De telles données rendent probable une certaine efficacité de la réduction des apports en sel et incitent à proposer aux patients concernés de limiter ces apports.
En somme, cette synthèse méthodique montre les limites de l'évaluation comparative randomisée de la réduction des apports en sel chez des patients qui ont une insuffisance cardiaque. D'autres données sont à prendre en compte. En 2019, il semble prudent de continuer à conseiller aux patients qui ont une insuffisance cardiaque de limiter les apports en sel.
Pour aller plus loin • Prescrire Rédaction "Lectures critiques Prescrire exercice n° 38 : pas de preuves sans essai ?" Rev Prescrire 2011 ; 31 (329) : 237. • Prescrire Rédaction "Sel et événements cardiovasculaires (suite)" Rev Prescrire 2011 ; 31 (331) : 369. • Prescrire Rédaction "Gamberges - remue-méninges : menteur ?" Rev Prescrire 2013 ; 33 (359) : 645. • Prescrire Rédaction "Déterminer la balance bénéfices-risques d'une intervention : pour chaque patient" Rev Prescrire 2016 ; 36 (394) : 596-601. • Prescrire Rédaction "Tenir compte des données manquantes dans la pratique quotidienne" Rev Prescrire 2016 ; 36 (396) : 775-780. • Prescrire Rédaction "Au peigne fin : grossissement" Rev Prescrire 2018 ; 38 (413) : 238.