À portée de main

Le médicament se faufile partout, parfois insidieusement, sans qu'on y prenne garde. Dans la poche, toujours à portée de main. Mal de tête, vite un antalgique orodispersible… Un antidépresseur pour tenir bon au travail… ou parce qu'on est devenu dépendant. Prise de médicament à visée récréative. Médicament suggéré par l'école pour aider un enfant turbulent à tenir en place et augmenter ses performances scolaires. Médicament préféré, par facilité, à des actions diététiques ou à l'activité physique, par exemple chez les patients diabétiques de type 2. Et dans bien d'autres situations encore (voir dans ce numéro le dossier spécial "Médicamentation de la société : l'affaire de tous").

Tous les acteurs de la santé participent, à des degrés divers, à cette « dépendance thérapeutique de la société », entretenue par ce que Paul Montastruc, pharmacologue, nommait un « besoin désespéré de médicament nouveau ».

Tous. Les patients et souvent leur entourage, à la recherche du médicament mirobolant. Les firmes pharmaceutiques et les leaders d'opinion qu'elles rémunèrent : leur intérêt bien compris passe par des ventes soutenues, leurs moyens d'influences sont considérables. Les chercheurs, dont la carrière dépend en partie du nombre de leurs publications et de leurs contrats. Les pouvoirs publics, selon qu'ils arbitrent dans l'intérêt des patients ou de l'économie… Des médias qui souvent répercutent des « innovations » sans recul, par goût du scoop.

Les soignants ont bien sûr aussi leur part dans cette fuite en avant. Notamment en acceptant sans regard critique que le médicament s'impose souvent comme la solution première, facile, à portée de main : abaissement de seuils d'intervention et prescription de traitements préventifs plus ou moins étayés, traitement de chiffres plutôt que de maladies avérées, facilité pour clore une consultation, tout simplement.

Les dégâts humains sont majeurs, pour les victimes d'effets indésirables de médicaments, les victimes de dépendance, sur prescription ou non. Le gaspillage de ressources collectives est patent.

Individuellement, on peut se sentir démuni face à un phénomène d'une telle ampleur et si complexe, en l'absence de réponses collectives et concertées. Il existe pourtant quelques moyens pour résister et agir en conscience, en commençant par s'affranchir de l'influence d'intérêts qui ne sont pas ceux des patients, et partager et argumenter avec les patients les limites des interventions médicamenteuses. C'est à portée de main.

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