Mesure et incertitudes

La prévention cardiovasculaire primaire est une affaire sérieuse car elle vise à éviter de mourir prématurément ou d'être victime d'un premier accident cardiovasculaire. Elle concerne beaucoup de personnes. Auxquelles il faut d'abord ne pas nuire. Donc ne pas imposer une intervention préventive avant d'avoir vérifié que ses dangers sont vraiment contrebalancés par l'ampleur de son efficacité.

Prescrire a fait le point sur la prévention cardiovasculaire primaire par les médicaments du groupe des statines, connues pour diminuer la cholestérolémie (lire dans le numéro 414 pages 272-281). Cette analyse critique et approfondie des données, effectuée en toute indépendance, a conduit à des conclusions qui montrent l'étendue des incertitudes. Notamment parce qu'en 2018 les données ne permettent pas de répondre clairement à de nombreuses questions. Il est probable que les statines évitent quelques morts prématurées, mais on ne sait pas bien chez qui. Un peu comme au loto : on sait qu'il y aura peut-être quelques "grands" gagnants, mais on ne sait pas qui. On sait que des personnes seront perdantes, et paieront un tribut, parfois lourd, en effets indésirables. Sans bien savoir combien de personnes, ni comment éviter ces effets.

Prescrire a choisi de partager les divers registres d'incertitude avec les abonnés. Pour qu'ils puissent les partager aussi, sans parti pris, avec les personnes concernées.

Ce n'est pas le cas de la Haute autorité de santé (HAS) française. Dans ses fiches dites mémo sur l'évaluation du risque cardiovasculaire et la prise en charge des "dyslipidémies", la décision est facile et rapide (lire dans le numéro 414 page 309 et dans ce numéro page 390). Tout semble simple et clair. Pas d'incertitude. Que des gagnants.

Tout semble simple, car la HAS a décidé de retranscrire sans discuter les recommandations émises par différentes sociétés savantes ou autres institutions. Pourquoi s'embêter à analyser leur méthode d'élaboration et les liens d'intérêts des contributeurs ?

Tout semble clair, puisqu'il a suffi à la HAS de rappeler que les statines réduisent la cholestérolémie. Pourquoi s'embêter à vérifier alors si telle ou telle statine réduit ou non la mortalité ou le risque d'accident vasculaire invalidant ? Pourquoi chercher à quantifier les effets indésirables ?

En fait il s'agit d'être libre de choisir entre prendre en compte les incertitudes pour les gérer sur mesure et avec mesure, ou plier sous un argument d'autorité simplificateur.

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