Accès précoce aux médicaments : au bénéfice de qui ?

Les autorisations temporaires d'utilisation (ATU) ont été créées en France en 1994 surtout pour importer des médicaments afin de traiter à titre compassionnel des patients atteints du sida ou de certains cancers en impasse thérapeutique (1,2).

Usage compassionnel détourné

Au fil du temps, les ATU sont devenues très utilisées par les firmes pour mettre plus tôt sur le marché, via l'hôpital, principalement des antitumoraux présumés "innovants" et proposés à des prix exorbitants (2). Dans ce cadre, les médicaments sont vendus à prix libre plusieurs mois voire plusieurs années avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM) sur la base d'une balance bénéfices-risques présumée favorable (1,2). Une manne pour les firmes (3).

Un accès aux médicaments des mois avant l'AMM européenne !

Une étude a cherché à évaluer le temps que font gagner les ATU dans l'accès aux médicaments (4). Ses auteurs ont centré l'étude sur les 64 antitumoraux ayant fait l'objet d'une AMM entre 2007 et 2019 dans l'Union européenne (4).

Parmi ceux-ci, 36 antitumoraux avaient été autorisés auparavant sous ATU, parfois pour plusieurs indications, au total chez 16 927 patients. 25 ont été disponibles en moyenne 428 jours avant l'AMM européenne et 203 jours avant l'AMM étatsunienne (4).

Un rapport du Sénat de 2018 confirme le caractère attractif pour les firmes de ce dispositif : commercialisation plusieurs mois avant l'AMM, prix librement fixé par elles, et prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale (2).

Accès précoces : beaucoup d'inconnues

Pour une majorité d'antitumoraux autorisés de manière accélérée dans l'Union européenne entre 2009 et 2013, en moyenne 5,4 ans après leur AMM, les incertitudes étaient encore grandes quant à l'éventuelle amélioration apportée en matière de durée ou de qualité de vie (5).

Un nouveau dispositif d'"accès précoce" élargi a débuté en France en juillet 2021 (6). Plus qu'à un élan de compassion, la réforme des accès précoces semble répondre à une préoccupation économique, notamment pour "soutenir l'innovation", atténuer un sentiment de "décrochage" français en matière de nombre d'essais cliniques et attirer les firmes, dans un contexte de rude concurrence internationale (2,6). Nul doute que les industriels sauront tirer profit de ce nouveau dispositif. Mais qu'en sera-t-il d'un accès rapide et équitable des patients à des médicaments apportant de réels progrès ?

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- ANSM "Accès précoce et compassionnel aux médicaments : quels changements pour les usagers et les professionnels de santé" (vidéo) 6 juillet 2021 : 1 h 24 min 47 s.

2- Sénat "Rapport d'information (…) sur l'accès précoce à l'innovation en matière de produits de santé" 13 juin 2018 : 127 pages.

3- Prescrire Rédaction "Protectionnisme industriel et médicaments : trop d'effets pervers" Rev Prescrire 2019 ; 39 (428) : 463-466.

4- Jacquet E et coll. "Comparative study on anticancer drug access times between FDA, EMA and the French temporary autorisation for use programme over 13 years" Eur J Cancer 2021 ; 149 : 82-90.

5- Davis C et coll. "Availability of evidence of benefits on overall survival and quality of life of cancer drugs approved by European Medicines Agency : retrospective cohort study of drug approvals 2009-2013" BMJ 2017 ; 359 en ligne : 13 pages.

6- APM "Emmanuel Macron annonce un "réinvestissement massif" dans la recherche et les industries de santé" 29 juin 2021 : 5 pages.