L'épidémie de covid-19 et la recherche de traitements ont été l'occasion, en France et ailleurs, d'une utilisation fréquente de la notion de conflit d'intérêts dans les débats publics. Mais cette évocation a parfois obscurci le sujet au lieu de l'éclairer.
Covid-19 : instrumentalisation opportuniste d'un problème réel
Certains défenseurs de médicaments pas chers comme l'hydroxychloroquine ou l'ivermectine dans le covid-19 ont instrumentalisé la notion de conflit d'intérêts pour discréditer ceux qui critiquaient leurs travaux ou leurs avis (1). Les acteurs français les plus impliqués dans la lutte contre les conflits d'intérêts en santé ne s'y sont pas trompés. Ainsi, pour le Formindep : « Malheureusement, ces conflits ont souvent été instrumentalisés, brandis comme autant d'attaques ad hominem pour masquer l'indigence des arguments scientifiques » (2). Et pour EurosForDocs : « Les liens d'intérêts d'une experte [Karine Lacombe] ne peuvent pas être utilisés comme une carte joker pour éviter de répondre à ses remarques » (3).
Certaines simplifications, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, tendant à faire croire que les liens d'intérêts seraient de la corruption, et que "Big Pharma" tirerait les ficelles des marionnettes que nous serions tous, ont en pratique affaibli la notion de conflit d'intérêts en la caricaturant. Il ne s'agit pas de corruption individuelle ou d'un complot mondial, mais de l'influence en partie inconsciente des liens d'intérêts sur les décisions (4).
Manque de transparence en Europe
La question des liens d'intérêts en santé a suscité de très nombreuses initiatives au cours des quinze dernières années, partout dans le monde, de la part des revues scientifiques, des législateurs, des autorités de santé, des instituts de recherche, des associations d'étudiants, des facultés de médecine, etc. (5).
Une de ces initiatives consiste à obliger, par la réglementation, à rendre publics les liens d'intérêts des personnes et des institutions de la santé avec des firmes de produits de santé. Parties des États-Unis d'Amérique, ces lois, dites "Sunshine Acts", connaissent des prolongements partout dans le monde (6). Mais tous les dispositifs n'ont pas la même efficacité.
L'association EurosForDocs, qui a créé en 2021 une version européenne (www.eurosfordocs.eu) de sa plateforme initialement française de transparence sur les liens d'intérêts (www.eurosfordocs.fr), a analysé la situation des pays européens où les dispositifs de transparence relèvent du volontariat des firmes ou des professionnels de santé. Malgré des différences parfois importantes entre les pays, aucun d'entre eux ne met à disposition via un site unique une information sur l'ensemble des soignants (7).
EurosForDocs conclut avec raison qu'il est temps d'avoir un "Sunshine Act" dans l'Union européenne, sur le modèle le plus efficace, c'est-à-dire une déclaration obligatoire et exhaustive des liens par les firmes elles-mêmes, comme c'est le cas aux États-Unis, au Portugal et en France (7).