40 ans sans démarchage

La visite médicale est un moyen pour les firmes de promouvoir des produits de santé sur les lieux de soins, par l'entremise de "délégués ou visiteurs médicaux". Voilà 40 ans que Prescrire documente les méfaits de l'information biaisée liée à cette pratique et ses conséquences sur la prescription. Et 40 ans correspondent aussi à peu près à la durée de la carrière complète d'un soignant. On entend nombre de soignants trouver de "bonnes raisons" de recevoir ces démarcheurs, par exemple : « ça se fait depuis longtemps, et tous mes collègues le font », « les petits cadeaux, c'est toujours bon à prendre », « je ne veux pas contribuer à mettre ces personnes au chômage ». Et aussi : « j'ai besoin de la visite médicale pour me former sur les nouveaux médicaments » ou « je suis capable de "diriger" la visite médicale sans être influencé ».

Une illusion ! Les techniques de marketing utilisées par les visiteurs médicaux ont une influence démontrée sur nos prescriptions et nos conseils de soignants, y compris quand nous croyons être suffisamment critiques (lire par exemple "Les mécanismes de l'influence et de la persuasion", n° 416 p. 458-459). Dès 1990, Prescrire a encouragé dans leur démarche les nombreux soignants qui préfèrent se passer définitivement de la visite médicale ("Une année sans VM", n° 99 p. 329). Et a démontré, par son Réseau sentinelle d'observation de la visite médicale, l'inutilité et la nocivité de cette dernière pour la formation des soignants ("15 ans d'observation et un constat : rien à attendre de la visite médicale pour mieux soigner", n° 272 p. 383-389).

Fin 2022, en France, la Haute autorité de santé a constaté que l'exposition des professionnels de santé au démarchage des firmes est massive et que l'information transmise est de piètre qualité, avec un fort impact sur les pratiques professionnelles. Et que les actions visant à réguler au niveau des États ces pratiques de démarchage ont été d'efficacité modeste ou mal évaluées (lire aussi "En 2023, toujours rien à attendre de la visite médicale : c'est aussi l'analyse de la HAS").

Dans ces conditions, c'est l'action individuelle qui est la plus immédiate et la plus efficace, sans attendre de décision institutionnelle ou réglementaire. Ne pas recevoir le démarchage médical, comme le font sans regret un dixième à un tiers des médecins selon des études internationales, apporte de grands bienfaits pour les patients et la santé publique, grâce à un choix et une utilisation des produits de santé plus réfléchis et sans influence commerciale directe. Avec à la clé d'autres bienfaits professionnels non négligeables, tels qu'un gain de temps pour mieux répondre à la demande des patients, se former à l'aide de sources fiables et choisies, ou pour prendre du temps pour soi. Et un esprit plus libre et exercé à déjouer de manière critique les autres canaux d'influence des firmes.

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