Depuis des décennies, l'industrie pharmaceutique pousse patients, étudiants, soignants et agences du médicament à adopter un mode de pensée focalisé sur l'efficacité des médicaments. En minimisant la problématique des effets indésirables, voire parfois en masquant les dangers pour les patients. Mais depuis des décennies, Prescrire propose un autre mode de pensée, un autre paradigme, qui consiste à placer la préoccupation des effets indésirables des médicaments au moins au même niveau que celle concernant l'efficacité. Car il s'agit de peser le pour et le contre, et de n'accepter des risques que si l'efficacité est bien démontrée. Afin, d'abord, de ne pas nuire.
Depuis des lustres, l'enseignement médical focalise l'esprit des futurs soignants sur le diagnostic "positif", avec l'impératif de reconnaître telle ou telle affection. À grands coups d'examens paracliniques s'il le faut. Depuis des lustres aussi, les soignants de premier recours ont adopté un autre paradigme, qui consiste d'abord à écarter les diagnostics préoccupants, en étant vigilant aux signes d'alerte, puis à retenir le diagnostic le plus probable dans la situation du patient, en acceptant une part d'incertitude (parfois grande), tout en restant ouvert à des éléments nouveaux. Le plus souvent en s'appuyant seulement sur un entretien attentif, complété si besoin d'un examen physique.
Divers domaines scientifiques fonctionnent avec des paradigmes devenus routiniers, peu ou pas soumis au crible de la pensée critique. Par exemple, les statistiques. Depuis le début du vingtième siècle, le paradigme nommé fréquentisme a conduit à rendre quasi binaires les conclusions tirées d'études comparatives, car focalisées sur la valeur p et un seuil précis, déterminant, le plus souvent choisi à 0,05. Seuil en deçà duquel l'efficacité d'une intervention est souvent supposée démontrée. Régulièrement, Prescrire porte un regard critique sur ces interprétations simplistes, en montrant le flou autour d'un résultat, notamment en rapportant des intervalles de confiance. Mais ces intervalles de confiance sont eux aussi le fruit du paradigme fréquentiste. Un autre paradigme, nommé bayésianisme, propose une autre façon de raisonner et conduit (entre autres) à déterminer des intervalles de crédibilité autour des résultats chiffrés (lire aussi "Intervalle de confiance et intervalle de crédibilité").
Cet autre paradigme a l'avantage d‘être plus proche de la pratique de soins, les soignants suivant souvent sans le savoir un raisonnement bayésien…