Quand Prescrire évalue la balance bénéfices-risques d'un médicament ou étudie sa praticité, le conditionnement est un élément crucial à analyser (lire l'encadré "Manque d'intérêt des firmes et des agences du médicament pour le conditionnement"). Le conditionnement du médicament contribue-t-il à assurer la sécurité des patients et de leur entourage ? Les éléments qui le composent sont-ils sources d'erreurs ou de dangers ? Permet-il une utilisation pratique du médicament et une mesure précise de la dose ?
L'analyse du conditionnement tient compte de nombreux paramètres : situation clinique ; patients concernés, en particulier femmes enceintes, enfants, personnes âgées ; personne éventuellement impliquée dans la préparation et l'administration (infirmier, entourage, aidant) ; contexte des soins (urgence ; établissement de soins ; ambulatoire dans le cadre d'une prescription, d'un conseil pharmaceutique, d'un achat via internet) ; etc.
Tous les aspects du conditionnement sont analysés sous l'angle de la qualité des soins et de la sécurité des utilisateurs et de leur entourage, notamment :
la lisibilité des dénominations communes internationales (DCI) et la différenciation des dosages au sein d'une gamme de médicaments ;
la clarté des informations présentées sous forme de schémas, plans de prise, pictogrammes ;
les dispositifs de préparation, de mesure ou d'administration des doses ;
le risque pour une personne, notamment un enfant, d'ingérer le médicament à l'insu de son entourage ;
l'intérêt informatif et pédagogique des notices, notamment les parties qui concernent les instructions d'utilisation, les effets indésirables, les situations et groupes de patients à risque particulier.
Ce Palmarès du conditionnement porte sur les conditionnements de médicaments analysés par Prescrire au cours de l'année 2022. Deux Palmes du conditionnement récompensent des conditionnements particulièrement bien conçus. Mais divers médicaments aux conditionnements sources d'erreurs ou de dangers se voient attribuer un Carton rouge du conditionnement.
PALMES 2022 DU CONDITIONNEMENT
Un conditionnement bien conçu pour une situation d'urgence
Dobutamine Sun° solution pour perfusion en seringue préremplie (dobutamine) Sun Pharma (n° 469)
La présentation de la dobutamine en seringue préremplie évite l'étape de dilution nécessaire avec les autres spécialités de dobutamine injectable. Cette seringue est directement adaptable sur un pousse-seringue, ce qui constitue un progrès pratique significatif pour un médicament utilisé en situation d'urgence.
Par ailleurs, le nom commercial choisi est constitué de la DCI suivie du nom de la firme. Ces mentions sont bien visibles sur la boîte et sur l'étiquette de la seringue, ce qui facilite l'identification de la substance. Dans le nom commercial, l'utilisation de lettres capitales pour une partie de la DCI "DOBUTamine" contribue à limiter la confusion avec d'autres substances, comme la dopamine. La concentration de la solution exprimée en milligrammes par millilitre (5 mg/ml) figure à côté du nom commercial. Afin de limiter le risque d'erreurs de dose, la quantité de substance par volume total de solution dans la seringue (250 mg-50 ml) est bien mise en évidence avec un fond coloré distinct de celui choisi pour le nom commercial et la concentration.
Un conditionnement bien pensé pour une utilisation en pédiatrie
Xarelto° granulés pour suspension buvable (rivaroxaban) Bayer Healthcare (n° 462)
Le conditionnement de Xarelto° en granulés pour suspension buvable, contenant du rivaroxaban, a été conçu pour assurer la sécurité d'emploi chez les enfants.
Parmi les principaux éléments de sécurité, deux seringues pour administration orale, fournies dans la boîte, sont munies d'un système de verrouillage, à mettre en place avant la première utilisation, qui empêche la mesure d'une dose supérieure à celle sélectionnée. Les seringues sont graduées en millilitres, mais sans nécessité de conversion car la concentration est de 1 mg/ml.
Les boîtes des deux présentations, l'une destinée aux enfants de moins de 4 kg et l'autre aux enfants de 4 kg ou plus, sont bien différenciées. Un livret d'instructions, illustré et clair, aide à la préparation et à l'administration de la suspension. Une seringue, destinée à l'ajout d'eau pour reconstituer la suspension à partir des granulés, est fournie dans la boîte. Sur la boîte et le flacon figurent des mentions et un pictogramme rappelant d'agiter la suspension reconstituée avant chaque administration. Un encadré sur la boîte a été prévu pour noter le poids de l'enfant, la dose à administrer en millilitres, et la fréquence des administrations.
Les flacons sont munis d'un bouchon-sécurité, ce qui limite l'accès à cette substance dangereuse et le risque d'ingestion par un enfant à l'insu de son entourage.
Le conditionnement comprend aussi une carte que le patient conserve sur lui, comportant un lien vers une vidéo pour aider à la reconstitution des doses et à l'administration. Cette carte comporte aussi des informations sur le médicament et sur le patient à destination des professionnels de santé, notamment en cas d'urgence.
CARTONS ROUGES DU CONDITIONNEMENT
Manque de sécurisation des conditionnements
Citrate de bétaïne Upsa citron sans sucre° et Citrate de bétaïne Upsa menthe sans sucre° comprimés effervescents (citrate de bétaïne) Upsa (n° 470) ; Vumerity° gélules (diroximel fumarate) Biogen (n° 469) ; Tivicay° comprimés dispersibles (dolutégravir) ViiV Healthcare (n° 463) ; Inrebic° gélules (fédratinib) Bristol-Myers Squibb (n° 470) ; Jyseleca° comprimés (filgotinib) Galapagos (n° 461) ; Tavlesse° comprimés (fostamatinib) Grifols (n° 461) ; Rukobia° comprimés (fostemsavir) ViiV Healthcare (n° 460) ; Vazkepa° capsules molles (icosapent éthyl) Amarin pharmaceuticals (n° 469) ; Kaletra° comprimés (lopinavir + ritonavir) Abbvie (n° 460) ; Ozawade° comprimés (pitolisant) Bioprojet Pharma (n° 468) ; Gavreto° gélules (pralsétinib) Roche (n° 470) ; Ryeqo° comprimés (rélugolix + estradiol + noréthistérone) Gedeon Richter (n° 468) ; Vosevi° comprimés (sofosbuvir + velpatasvir + voxilaprévir) Gilead Sciences (n° 470)
Contrairement aux plaquettes unitaires prédécoupées, le conditionnement en flacons-vrac complique l'identification des capsules molles, des comprimés ou des gélules sortis du flacon, par exemple lors de l'utilisation d'un pilulier. Par ailleurs, les flacons-vrac exposent à une dissémination de leur contenu, d'où une augmentation du risque de prise accidentelle par une autre personne, en particulier un enfant. Lors de la manipulation du médicament, ces flacons-vrac ne protègent pas suffisamment contre les dangers liés à la toxicité de la substance par ingestion, inhalation ou contact.
Bactrim° suspension buvable (sulfaméthoxazole + triméthoprime) Eumedica (n° 460)
Les mentions des dosages sur la boîte et sur l'étiquette du flacon de Bactrim° en suspension buvable ont été un peu améliorées par rapport à ce qui existait auparavant. Pour autant, le flacon de cette forme buvable multidoses est toujours dépourvu de bouchon-sécurité. Un bouchon simple ne protège pas suffisamment les enfants. Ceux-ci ont trop facilement accès au contenu du flacon et sont d'autant plus exposés au risque d'ingestion massive.
Un autre défaut de ce conditionnement est la cuillère-mesure graduée, fournie dans la boîte. De manière générale, les cuillères-mesures sont des dispositifs doseurs imprécis. C'est encore plus vrai ici, du fait du peu de visibilité des graduations à 1,25 ml, 2,5 ml et 5 ml une fois la suspension versée dans la cuillère.
Dolipraneliquiz° suspension buvable en sachets Opella Healthcare (groupe Sanofi) et Efferalgan° granulés en sachets Upsa (paracétamol) (n° 466)
Ces unidoses de paracétamol en sachets allongés (dits sticks) sont vendues avec des parfums attractifs. Les sachets sont faciles à ouvrir, ce qui expose particulièrement les enfants à une intoxication quand ces sachets sont à leur portée. Ce type de présentation banalise le médicament et incite à la consommation, au mépris des dangers liés aux surdoses de paracétamol.
Des défauts exposant à des erreurs lors de la préparation de la dose
Icatibant Accord° Accord Healthcare ; Icatibant Fresenius° Fresenius Kabi ; Icatibant Viatris° Viatris Santé ; Icatibant Zentiva° Zentiva solution injectable en seringue préremplie (icatibant) (n° 466)
Comme pour le princeps, aucune des copies de Firazyr° (autorisées dans l'angiœdème héréditaire) n'est conçue pour permettre la mesure de la dose à administrer chez les enfants. Chez les adultes, la dose à administrer correspond à la totalité de la seringue préremplie, sans nécessité de graduations sur la seringue. Mais chez les enfants, la dose est à ajuster selon le poids, ce qui rend cette seringue non graduée inadaptée. D'après les notices, lors d'une utilisation chez un enfant, le contenu de la seringue préremplie est à transférer dans une seringue graduée à l'aide d'un raccord. La seringue graduée et le raccord ne sont pas fournis dans la boîte. Ils sont éventuellement mis à disposition dans un kit distribué à part.
On aurait pourtant attendu des firmes qu'elles y pensent ou à défaut, que les agences exigent une présentation permettant de mesurer la dose à administrer, par exemple avec des graduations sur la seringue préremplie.
Polystyrène sulfonate de sodium Zentiva° poudre pour suspension orale et rectale (polystyrène sulfonate de sodium) Zentiva (n° 459)
Comme le princeps Kayexalate°, cette copie contenant du polystyrène sulfonate de sodium, une résine échangeuse de cations autorisée dans les hyperkaliémies, est présentée en pot multidoses avec une cuillère-doseuse. Le pot est de grande contenance et son couvercle est dépourvu de sécurité, ce qui expose les enfants aux dangers d'une ingestion accidentelle. De plus, la cuillère-doseuse, d'une contenance de 15 g, ne comporte pas de graduation permettant de mesurer la dose adaptée aux enfants. Des sachets unidoses pour les adultes et une présentation sécurisant la préparation des doses pour les enfants seraient plus adaptés.
Evrysdi° poudre pour solution buvable (risdiplam) Roche (n° 465)
Selon la notice, la reconstitution de la solution buvable de risdiplam (autorisée dans l'amyotrophie spinale proximale) est à effectuer par un professionnel de santé avant la dispensation du médicament, en ajoutant dans le flacon un volume de 79 ml d'eau purifiée ou d'eau pour préparation injectable. Les manipulations nécessitent des précautions pour ne pas respirer la poudre et pour éviter tout contact de la poudre avec la peau. Il est regrettable qu'il ne soit mentionné ni sur la boîte ni sur l'étiquette du flacon que la reconstitution doit être faite par un professionnel de santé.
Pour prélever la solution, des seringues graduées en millilitres sont fournies dans la boîte, d'une contenance de 6 ou 12 ml, selon la dose à administrer. Les graduations en millilitres exposent à des erreurs lors de la conversion de la dose prescrite en milligrammes, inconvénient qui s'ajoute au précédent.
Evrenzo° comprimés (roxadustat) Astellas (n° 469)
Le schéma posologique du roxadustat (autorisé dans l'anémie liée à une insuffisance rénale chronique) est particulier : une prise par jour, pendant 3 jours non consécutifs par semaine. Or, les boîtes et les plaquettes de ce médicament ne comportent aucune mention de ce rythme inhabituel. Des erreurs de prise exposant à des surdoses (prises quotidiennes, par exemple) ont été rapportées avec d'autres médicaments à prendre selon des rythmes inhabituels.
Contramal° solution buvable Grünenthal et Topalgic° solution buvable Sanofi Aventis (tramadol) (n° 469) ; Dropizal° solution buvable (teinture d'opium) Pharmanovia (n° 466)
Les flacons compte-gouttes sont des dispositifs doseurs imprécis. Les flacons de Contramal° et Topalgic°, de petit volume, contiennent une solution de tramadol très concentrée. En 2020, une surdose grave est survenue chez un enfant après que ses parents ont versé la solution de tramadol dans une petite cuillère sans compter les gouttes, comme un sirop. Des mentions d'avertissement ont été ajoutées en 2022 sur les boîtes et les étiquettes des flacons pour : limiter le risque d'emploi d'un dispositif autre que le compte-gouttes pour préparer la dose ; et pour préciser la quantité de substance contenue dans une goutte (2,5 mg de tramadol). Mais la concentration de la solution est restée inchangée, ce qui expose toujours les enfants à une intoxication en cas d'erreur de préparation de la dose. Une solution moins concentrée, de plus grand volume (comme il en existe dans d'autres pays), avec un dispositif doseur précis comme une seringue graduée en milligrammes, améliorerait la sécurité des patients.
La spécialité Dropizal° cumule les inconvénients précédents avec, en plus, une notice qui préconise de recourir à une cuillère ordinaire pour administrer la dose mesurée avec le compte-gouttes, quand la solution n'est pas diluée dans un verre d'eau. Cela expose au risque que les patients utilisent la cuillère ordinaire comme dispositif de mesure. De plus, les doses préconisées dans la notice sont exprimées alternativement en gouttes ou en millilitres, ce qui est peu compréhensible. Ces mentions dangereuses, combinées à la présentation en flacon compte-gouttes d'une solution concentrée exposent les patients à des surdoses par erreur.
Manque d'intérêt des firmes et des agences du médicament pour le conditionnement
Prescrire interroge les firmes pharmaceutiques afin de disposer des conditionnements physiques complets de leurs médicaments, ou, à défaut, de prototypes numérisés ou de photographies des éléments de conditionnement. En 2022, une centaine de demandes de ce type ont été faites aux firmes titulaires des autorisations de mise sur le marché (AMM) concernées ou à leurs représentants français. Une réponse a été obtenue dans moins de la moitié des cas, avec surtout des éléments numérisés ou photographiques de tout ou partie du conditionnement. Seuls deux kits de démonstration et un conditionnement physique complet ont été reçus pour analyse.
Prescrire adresse aussi des demandes à des agences du médicament. Contrairement à d'autres agences telle l'Agence britannique du médicament (MHRA), les agences française (ANSM) et européenne (EMA) du médicament ne donnent accès sur leur site internet ni aux prototypes numérisés, ni aux photographies des éléments de conditionnement qu'elles valident. Une des raisons évoquées est la crainte d'exposer les firmes aux contrefaçons. Dans le cadre du droit d'accès aux documents administratifs, l'EMA transmet des prototypes numérisés de conditionnements, mais avec des restrictions et des délais de plusieurs mois entre la demande initiale et la réception des documents. Ces prototypes sont régulièrement sous forme numérisée en noir et blanc, ce qui entrave l'évaluation de la lisibilité des diverses mentions et de la différenciation des dosages au sein d'une gamme de médicaments, par exemple.
Il est regrettable que firmes et agences ne partagent pas plus ces documents d'utilité publique avec les professionnels de santé, pour leur permettre d'anticiper d'éventuels dangers lors de l'utilisation des médicaments.