Résumé
Un manque de transparence sur la méthode que les auteurs pourraient corriger vite, et ainsi répondre à des interrogations sur le contenu de la liste.
Dans le cadre de leur action contre les pénuries de médicaments, l'Agence européenne du médicament (EMA), le réseau des agences nationales (HMA) du médicament de l'Espace économique européen (EEE) et la Commission européenne ont publié fin 2023 une première liste de « médicaments critiques » dont « la continuité de l'approvisionnement doit être toujours garantie » dans les états membres (1à3).
Les médicaments inscrits sur cette liste sont censés être l'objet en priorité des diverses actions européennes anti-pénuries.
Cette première liste est destinée à être complétée et mise à jour. Elle a été créée à partir des listes nationales du même type établies dans 6 pays : Allemagne, Espagne, Finlande, France, Portugal, Suède (2). La liste française a été largement critiquée (4,5).
Prescrire a écrit aux autorités concernées un courrier pour proposer des améliorations de cette liste. Ce présent texte reproduit intégralement ce courrier.
Deux critères principaux
La liste européenne a été établie en combinant principalement 2 critères, cotés chacun en 3 niveaux de risque : haut, moyen, faible.
Le premier critère est lié à la gravité de l'indication thérapeutique autorisée. Les situations dites à haut risque sont : maladie mortelle (ou gravement invalidante), ou pénurie grave (voire mortelle) pour le patient (à court ou moyen terme), ou administration impérative dans un délai très bref, ou élément d'un programme de santé publique.
Le deuxième critère est lié au nombre (de zéro à au moins 3) de solutions de remplacement plus ou moins satisfaisantes sur le marché, c'est-à-dire le nombre de médicaments assez voisins pour que le patient et le processus de soin soient peu ou pas affectés par le remplacement (2). Les situations dites à haut risque sont : solution de remplacement inexistante ou affectant la sécurité du patient, ou affectant l'efficacité du traitement, ou imposant des soins supplémentaires (consultations médicales, administration à l'hôpital, etc.).
En conséquence, un médicament vital sans solution de remplacement figure sur la liste. Mais un médicament vital dont au moins 3 solutions de remplacement dites satisfaisantes sont sur le marché, sans perspective de pénurie, ne doit pas figurer sur la liste des médicaments critiques (2). Les critères d'évaluation de la sécurité d'approvisionnement des solutions de remplacement ne sont pas détaillés dans les documents rendus publics.
Le document intitulé "Questions and answers on the Union list of critical medicines" du 12 décembre 2023 mentionne que d'autres critères ont été pris en compte pour inscrire les médicaments sur la liste européenne, mais n'en cite qu'un seul : le statut de médicament critique dans au moins un tiers des états membres de l'EEE (3).
Cotations manquantes
La liste publiée ne mentionne aucune cotation de ces 2 critères principaux. Elle ne comporte pas d'annexe recensant les médicaments étudiés et considérés comme non critiques.
On ne peut donc pas savoir si une absence de la liste est due au fait que les auteurs de la liste ont sous-estimé la gravité de la pénurie du médicament pour certains patients, ou s'ils considèrent qu'il y a assez de solutions de remplacement satisfaisantes, ou tout simplement qu'ils n'ont pas encore examiné le cas du médicament en question.
En publiant rapidement ces précisions, sans attendre la prochaine version actualisée de de la liste, l'EMA, le réseau HMA et la Commission européenne rassureraient beaucoup d'acteurs, gagneraient en crédibilité et augmenteraient l'intérêt des contributions des patients et des professionnels de santé.
Absence de nombreux médicaments de référence
D'ici-là, parmi les absences qui interrogent sur la pertinence de la première liste européenne des médicaments critiques, on peut citer :
l'absence de la metformine, le médicament oral de référence dans le diabète de type 2 ;
l'absence de l'apixaban, anticoagulant dont la balance bénéfices-risques paraît légèrement plus favorable que celle du dabigatran, inscrit sur la liste avec son antidote alors que l'intérêt clinique de cet antidote n'est pas avéré ;
l'absence de tout inhibiteur de l'enzyme de conversion et de tout sartan, alors que l'énalapril réduit la mortalité dans l'insuffisance cardiaque (alternative : candésartan ou valsartan) ;
l'absence de la spironolactone, un diurétique d'intérêt avéré dans l'insuffisance cardiaque ;
l'absence de l'amlodipine, un des hypotenseurs d'intérêt avéré au long cours ;
l'absence du misoprostol, composante, avec la mifépristone, de l'IVG médicamenteuse ;
l'absence de tout contraceptif oral, en particulier le lévonorgestrel progestatif de premier choix dans ce domaine, y compris en contraception postcoïtale, et l'absence d'association de lévonorgestrel avec l'éthinylestradiol, l'estrogène de référence en contraception estroprogestative ;
l'absence de la lévothyroxine, traitement de référence de l'hypothyroïdie ;
l'absence de tout antiviral destiné au traitement de l'hépatite virale C, alors que certaines associations ont une efficacité durable démontrée sur la charge virale ;
l'absence de tout inhibiteur de l'intégrase du VIH et de tout inhibiteur de la protéase du VIH, indispensables au maintien d'une charge virale dite indétectable pour de nombreux patients ;
l'absence du ténofovir associé à l'emtricitabine en prophylaxie pré-exposition au VIH ;
l'absence de l'association nirmatrelvir + ritonavir, le seul traitement antiviral d'efficacité clinique démontrée chez des patients à risque important de forme grave de covid-19 ;
l'absence de tout vaccin pneumococcique, alors que l'efficacité d'un vaccin pneumococcique conjugué est démontré en prévention des infections invasives chez les nourrissons ;
l'absence de tout vaccin covid-19 ;
l'absence de tout vaccin papillomavirus, qui, administré avant les premiers rapports sexuels, réduit très probablement le risque de cancer du col de l'utérus ;
l'absence du fluorouracil et de la capécitabine, cytotoxiques de première ligne dans les cancers colorectaux notamment ;
l'absence du docétaxel, cytotoxique qui allonge la durée médiane de survie dans des cancers de la prostate ;
l'absence du rituximab, immunodépresseur anti-CD20 de premier choix dans certains lymphomes notamment ;
l'absence de tout anti-TNF alpha, d'intérêt clinique avéré dans la polyarthrite rhumatoïde et la maladie de Crohn, notamment ;
l'absence de tout médicament destiné au traitement substitutif de la dépendance aux opioïdes, malgré l'efficacité avérée de la méthadone et de la buprénorphine ;
l'absence de tout dopaminergique de la maladie de Parkinson ;
l'absence de tout antipaludéen.
Sources
1- EMA "Union list of critical medicines - version 1" 6 décembre 2023. Site ema.europa.eu consulté le 6 février 2023 : 8 pages.
2- EMA "Methodology to identify critical medicines for the "Union List of critical medicines"" 29 juin 2023 : 7 pages.
3- EMA "Questions and answers on the Union list of critical medicines" 12 décembre 2023 : 5 pages.
4- Prescrire Rédaction "Liste française de médicaments essentiels : non argumentée et établie sans méthode rigoureuse" 26 juin 2023. Site prescrire.org consulté le 6 février 2023 : 2 pages.
5- Brafman N "Médicaments essentiels : la liste du gouvernement qui fâche les médecins" Le Monde 27 juin 2023.