Alcool : la culture du déni tue

À lire la Stratégie nationale de santé, ou à entendre la ministre de la Santé, on aurait pu croire que la France allait sérieusement s'attaquer au problème de l'alcool. Mais une fois de plus il ne s'est rien passé, le courage a manqué et le déni l'a emporté (1).

La culture comme argument massue

En France, malgré une baisse régulière de sa consommation, le vin est toujours la principale source d'alcool avec 6,9 litres équivalents d'alcool pur par personne et par an, soit environ 60 % d'une consommation totale estimée à 11,7 litres en 2016 (2). En France, l'alcool est un des principaux motifs d'hospitalisation, la deuxième cause de cancers (8 %), et une cause majeure de démences (3à5).

Pourtant, cela n'a pas empêché le porte-parole du gouvernement et le président de la République de minimiser les risques du vin. Et d'affirmer, comme de nombreux autres commentateurs, que le vin n'était pas de l'alcool mais un élément-clé de la tradition, de la culture et de l'identité françaises (6). Mais cet aspect culturel n'enlève rien à la dangerosité du vin et n'est en rien une exception française : la vodka est un élément de la culture russe, le khat de la culture yéménite et la coca de la culture andine.

L'abus de confiance nuit à la santé

Le ministre de l'Agriculture a lancé avec la ministre de la Santé une concertation sur la prévention avec les professions viticoles, en voulant les impliquer dans « l'amélioration de l'impact des messages de santé publique sur les pratiques abusives » (7). On peut faire confiance en effet aux producteurs pour accréditer l'idée que le problème avec l'alcool est seulement celui de l'abus, et donc du comportement des personnes, et pas celui du produit lui-même.

Une synthèse de la littérature a montré que les initiatives dites de responsabilité sociale des entreprises, dont relève la proposition ci-dessus, non seulement ne semblent pas réduire les consommations nocives d'alcool, mais sont efficaces pour affaiblir les politiques publiques concernant ce secteur (8).

Un sondage réalisé en juin 2018 montre que les Français sous-estiment les risques de l'alcool. La majorité d'entre eux souhaitent cependant des mesures efficaces contre l'alcool : étiquetage mentionnant les risques, davantage d'actions de prévention auprès des jeunes, interdiction de publicité, davantage de taxes, etc. (9).

Alors qu'une grande partie de la société civile semble avoir intégré les enjeux de santé publique, les responsables politiques persistent dans la culture du déni, d'abord soucieux de certains intérêts économiques.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Stratégie nationale de santé : du courage !" Rev Prescrire 2018 ; 38 (413) : 215.

2- OFDT "Alcool : évolution des quantités consommées par habitant" : 4 pages.

3- Paille F et Reynaud M "L'alcool, une des toutes premières causes d'hospitalisation en France" Bull Epidemiol Hebd 2015 ; (24-25) : 440-449.

4- Wild CP et coll. "Mesurer les parts de cancers évitables pour mieux guider la lutte et la prévention" Bull Epidemiol Hebd 2018 ; (21) : 430-431.

5- Schwarzinger M et coll. "Contribution of alcohol use disorders to the burden of dementia in France 2008-13 : a nationwide retrospective cohort study" Lancet Public Health 2018 ; 3 : e124-132.

6- Lepelletier P ""C'est un alcool qui n'est pas fort" : Castaner contredit Buzyn sur le vin" Le Figaro 22 février 2018 : 2 pages.

7- "Alcool : le principe de responsabilité s'applique aux industriels, pas au consommateur (Mildeca)" Dépêche APM du 2 juillet 2018 : 3 pages.

8- Mialon M et McCambridge J "Alcohol industry corporate social responsibility initiatives and harmful drinking : a systematic review" Eur J Public Health 2018 : 1-10.

9- Ligue nationale contre le cancer "Une forte majorité des Français en faveur des mesures efficaces pour réduire la consommation d'alcool" 14 juin 2018 : 2 pages.