S'inspirant de travaux de médecins chinois, un universitaire français a affirmé dans une vidéo grand public en février 2020 que, grâce à l'hydroxychloroquine, le covid-19 était « probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes » ; et un médecin étatsunien a convaincu le président de son pays qu'il avait guéri 100 % de 699 personnes présumées malades avec ce médicament (1à3).
Incompréhensions et défiances
Au cours des semaines qui ont suivi, les experts de l'évaluation médicale, les agences du médicament européenne et française, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les grandes revues médicales, les centres de pharmacovigilance, etc., ont demandé des preuves, alerté sur les effets indésirables de l'hydroxychloroquine, et déconseillé son utilisation en dehors d'essais cliniques (4).
Pour beaucoup de soignants et de patients, cette situation était incompréhensible : comment un chercheur présenté comme un des meilleurs du monde, auteur d'une série d'études sur des milliers de personnes montrant selon lui que l'hydroxychloroquine guérit 92 % des patients, pouvait-il être autant critiqué ? Les explications ont foisonné : ce chercheur marseillais est victime des Parisiens, du "système", de Big pharma, du gouvernement, des médecins bureaucrates, des médias, etc., explications révélant mais aussi aggravant des défiances voire des haines préexistantes, si l'on en juge par les invectives visibles sur internet.
La méthode, au bénéfice des patients
L'explication est pourtant simple. Dès 1865, Claude Bernard, un des pionniers de la médecine expérimentale, a écrit : « Souvent des médecins se vantent d'avoir guéri tous leurs malades par un remède qu'ils ont employé. Mais la première chose qu'il faudrait leur demander, ce serait s'ils ont essayé de ne rien faire, c'est-à-dire de ne pas traiter d'autres malades ; car, autrement, comment savoir si c'est le remède ou la nature qui a guéri ? » (5).
La levée de cette incertitude est la raison d'être des essais cliniques comparatifs. Selon les principes méthodologiques de l'évaluation clinique mondialement reconnus depuis plusieurs décennies, les essais comparatifs sont les preuves de plus haut niveau de fiabilité dans l'évaluation des traitements. Le niveau le plus bas est représenté par les avis d'experts, les séries de cas, les autres études observationnelles et l'empirisme (6). En 2020 encore, dans le covid-19 aussi.
Comprendre l'importance des preuves pour éviter le gâchis
Fin juillet 2020, les résultats d'essais comparatifs de l'hydroxychloroquine en traitement de la maladie covid-19 deviennent consistants, sans montrer d'efficacité, alors qu'on déplore par contre des victimes de ce médicament.
La lecture critique enseignée aux soignants est un des moyens de transmettre la connaissance des pièges des divers procédés scientifiques et des écueils entravant la démonstration d'une relation de cause à effet. Mais l'incompréhension partagée très largement dans la population montre aussi l'importance de renforcer la pédagogie, notamment à l'école, pour développer l'esprit critique à bon escient, et transmettre la connaissance des biais cognitifs et des méthodes scientifiques permettant de dégager des preuves. Afin de savoir résister aux arguments d'autorité, entre autres.