Mediator° : tout faux dès le départ

En juin 2020, à l'issue du procès pénal Mediator°, les deux procureures ont conclu que tous les prévenus étaient coupables des délits qui leur étaient reprochés (a). Pour la firme Servier : obtention indue d'autorisation, tromperie avec mise en danger de l'homme, homicides et blessures involontaires par violations délibérées de ses obligations, escroquerie (1). Pour l'Agence française du médicament : homicides et blessures involontaires par négligence. Pour divers membres des autorités et experts : prise illégale d'intérêts et autres délits (1).

La grande illusion

Pour les procureures, de nombreuses preuves montrent que la firme Servier savait dès la mise sur le marché en 1976 que le benfluorex (ex-Mediator°) était un anorexigène, comme les fenfluramines dont le benfluorex est proche sur les plans « chimique, pharmacologique, clinique et toxique ». La firme et l'Agence auraient dû le retirer du marché en même temps que la fenfluramine (ex-Pondéral°) et la dexfenfluramine (ex-Isoméride°), « par analogie », dès les résultats de l'étude dite Ipphs en 1995 montrant un risque d'hypertension artérielle pulmonaire fortement augmenté avec ces deux médicaments (2).

Mais le benfluorex est resté commercialisé en France pendant en tout 33 ans, positionné par la firme non pas comme anorexigène, mais dans les hypertriglycéridémies et le diabète. L'une des deux procureures a parlé à cet égard de « désinformation », « dissimulations », « manipulations », « manœuvres », « mystification ». Des mots très proches de ceux utilisés par Prescrire dans les "pubs à la loupe" concernant Mediator° : « camouflage pseudo-scientifique », « le grand illusionniste », « l'art d'égarer » (3à5). Une illusion mortifère, avec pour conséquences des milliers de victimes et des centaines de morts. Mais selon les procureures, « la sécurité des patients n'était pas au cœur des préoccupations de la firme Servier ».

L'Agence aveugle et sourde

L'une des procureures a constaté que l'Agence a été incapable de sortir du brouillard ainsi créé et elle lui a reproché de ne pas avoir retiré ce médicament dès le milieu des années 1990. Elle lui a reproché aussi de ne pas avoir informé les médecins et les patients de la nature et des effets du benfluorex, tout au long des années 1990 et 2000, malgré les nombreuses alertes, dont celles de Prescrire, que la procureure a égrenées en conclusion de son réquisitoire (6).

Pour la procureure, ce qui a manqué à l'Agence, ce sont les qualités d'une Irène Frachon, grâce à qui le désastre Mediator° a été révélé au grand jour : « curiosité, intuition, détermination, courage ».

Contre le « choix cynique d'ignorer les risques » et le « pari sinistre » de la firme Servier et la « faillite » de l'Agence du médicament, les procureures ont requis les peines maximales prévues (7). La décision des juges sur la responsabilité des prévenus, ainsi que sur les demandes d'indemnisation des victimes et des organismes de protection sociale, est attendue fin mars 2021.

©Prescrire

Notes

a- Les informations et citations de ce texte sont issues de la prise de notes d'un membre de la Rédaction de Prescrire présent à l'audience le 23 juin 2020, et ont été rapportées aussi dans d'autres titres de la presse et des dépêches d'agences. Nous reviendrons plus longuement sur ce procès dans un autre numéro.

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "La firme Servier et l'Agence française du médicament devant le tribunal" Rev Prescrire 2019 ; 39 (431) : 700-701.

2- Prescrire Rédaction "Hypertension artérielle pulmonaire primitive et prise prolongée d'anorexigène" Rev Prescrire 1995 ; 15 (154) : 589-590.

3- Prescrire Rédaction "Publicité comparative. La banalisation maximale ? ou le camouflage pseudo scientifique ?" Rev Prescrire 1991 ; 11 (106) : III de couv.

4- Prescrire Rédaction "Le grand illusionniste. Quand l'art de l'illusion se mêle au génie des affaires" Rev Prescrire 1997 ; 17 (173) : III de couv.

5- Prescrire Rédaction "Mediator° - l'art d'égarer" Rev Prescrire 2009 ; 29 (309) : III de couv.

6- "Mediator° : Servier a manqué à son obligation de sécurité et de prudence, l'ANSM a fauté par négligence (procureure)" Dépêche APMnews du 25 juin 2020 : 4 pages.

7- "Procès Mediator° : plus de 9 millions d'euros d'amende requis contre Servier et 3 ans de prison ferme contre l'ex-numéro 2 de Servier" Dépêche APMnews du 23 juin 2020 : 2 pages.