Disposer d'un logement : un pas essentiel vers la santé

En France, environ 30 % des personnes vivant durablement dans la rue souffrent de troubles psychiques sévères (1). Leur errance fait obstacle au suivi des soins. Aux États-Unis d'Amérique, dans les années 1980, ce constat a conduit à élaborer des programmes d'accès à un logement, sans obligation préalable de soins ou de sevrage d'une éventuelle addiction (2). En France, le programme "Un chez soi d'abord", inspiré de ces initiatives et d'une expérience marseillaise menée à la fin des années 2000, vise depuis 2011 à permettre à des personnes majeures sans abri, fortement touchées par la précarité et ayant des troubles psychiques sévères (schizophrénie ou troubles bipolaires), d'accéder à un logement, sans obligation de soin ou de sevrage (2,3). Une équipe mobile médicopsychosociale, comprenant notamment un médiateur de santé-pair, les accompagne, soucieuse des priorités des personnes aidées (3).

Une expérimentation sur quatre sites, évaluée notamment par un essai randomisé

Les pouvoirs publics ont souhaité d'emblée évaluer les effets de ce programme. Un essai randomisé a inclus 703 personnes volontaires sur quatre sites : Marseille, Lille, Toulouse et Paris (a). La moitié d'entre elles ont continué leur vie habituelle ; les autres ont accédé à un logement loué par une association intermédiaire agréée. La comparaison a porté sur le recours aux urgences et à l'hospitalisation, la qualité de vie, les symptômes psychiatriques, l'addiction, le rétablissement des personnes accompagnées et le coût social et sanitaire (1).

Les résultats de l'essai comparatif montrent, à 24 mois, une très grande stabilité dans le logement, ainsi qu'une amélioration du niveau d'autonomie et de l'échelle de qualité de vie dans le groupe "Un chez soi d'abord" par rapport au groupe témoin, mais ils ne montrent pas de différence en ce qui concerne les symptômes psychiatriques, la dépendance à l'alcool ou à d'autres substances (1). Le nombre de jours d'hospitalisation a été inférieur dans le groupe "Un chez soi d'abord", de façon statistiquement significative, mais pas le nombre d'admissions à l'hôpital, ni le recours aux services d'urgence (1). Les coûts totaux comparés sont identiques dans les deux groupes, les surcoûts d'hospitalisation et d'hébergement du groupe témoin équilibrant globalement les coûts liés au groupe "Un chez soi d'abord" (location de logements, rémunération du personnel du programme) (1,4,5).

Le logement : un déterminant de santé

Les résultats de cette évaluation remarquable ont conduit les autorités (avec un financement de l'État et de l'assureur maladie obligatoire) à étendre ce programme avec pour objectif une vingtaine de sites de cent personnes en 2023, et à expérimenter un accompagnement spécifique pour 100 personnes âgées de 18 à 25 ans, 50 à Lille et 50 à Toulouse (2,5,6). Une réelle avancée dans la reconnaissance du rôle décisif que joue la mise à disposition d'un logement sur l'amélioration de la santé.

©Prescrire

Notes

a- Les essais comparatifs randomisés ont été utilisés dans le domaine des politiques publiques et sociales depuis les années 1960, et connaissent un renouveau d'intérêt depuis 2000. Les économistes Abhijit Banerjee et Esther Duflo en font un large usage (réf. 7).

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Tinland A et coll. "Effectiveness of a housing support team intervention with a recovery-oriented approach on hospital and emergency department use by homeless people with severe mental illness : a randomised controlled trial" Epidemiol Psychiatr Sci 2020 ; 29 : (e169) : 1-11.

2- Estecahandy P "Un chez-soi d'abord : accompagner les personnes sans abri vers et dans leur logement" La Santé en action 2020 ; (451) : 46-49.

3- Laval C et coll. "L'expérimentation française : un chez soi d'abord" Vie sociale 2018 ; (23-24) : 175-185.

4- Laval C et coll. "Abrégé du rapport final du volet qualificatif de recherche" octobre 2016 : 68 pages.

5- "Décret n° 2016-1940 du 28 décembre 2016 relatif aux dispositifs d'appartements de coordination thérapeutique "Un chez soi d'abord"" : 3 pages.

6- "Arrêté du 30 octobre 2019 portant agrément d'expérimentation d'actions médico-sociales "Un chez-soi d'abord jeunes" en faveur de personnes en situation de précarité" Journal Officiel du 31 octobre 2019 : 9 pages.

7- Salathé-Beaulieu G et Gruet E "L'essai randomisé contrôlé (RCT)" Territoires innovants en économie sociale et solidaire 2018 ; 9 pages.