Allers-retours public-privé : confusion des intérêts

En France comme ailleurs, après avoir exercé dans le secteur public, certains hauts responsables accèdent à des postes dans le secteur privé à but lucratif, et vice-versa. Ces situations posent des problèmes de confusion des rôles et de conflits d'intérêts néfastes à l'intérêt public. Le secteur de la santé ne manque pas d'exemples en la matière.

Des reconversions gérées de façon laxiste selon la médiatrice européenne

Le directeur de l'Agence européenne du médicament de 2001 à 2010 a rejoint, le mois suivant son départ, la direction d'une agence de lobbying pour les firmes pharmaceutiques (1). Sur sa page LinkedIn, mi-2022, il présente cette situation comme toute naturelle : « Sur la base de ma vaste expérience et de ma connaissance dans le domaine des médicaments et des dispositifs médicaux, en termes de réglementation, autorisation, accès au marché, gestion, stratégie et leadership, je conseille actuellement des firmes pharmaceutiques du monde entier sur le développement de médicaments, en mettant l'accent sur la réglementation et l'accès au marché » (1). 

Au printemps 2022, la Médiatrice européenne a publié ses conclusions après une enquête sur 100 cas de reconversion de personnels passés d'institutions européennes au privé entre 2019 et 2021 (2). Elle estime que la gestion par la Commission européenne de ces situations est trop laxiste : « Le transfert des régulateurs dans les secteurs qu'ils réglementaient auparavant est devenu un problème à Bruxelles, mais cela ne se reflète pas pleinement dans la manière dont l'administration de l'Union Européenne traite la question. (…) Il y a une tendance à sous-estimer les effets néfastes de ces reconversions de fonctionnaires apportant leurs connaissances et leurs réseaux aux acteurs concernés du secteur privé » (2). La médiatrice propose plusieurs pistes d'amélioration de la situation, telles que des interdictions temporaires d'emplois, si des restrictions ne suffisent pas à éviter les confusions des rôles et les conflits d'intérêts (2).

McKinsey en même temps sur tous les tableaux

La confusion des rôles a atteint un sommet avec le cabinet de conseil McKinsey, qui a conseillé en même temps l'Agence étatsunienne du médicament (FDA) et des firmes d'opioïdes, notamment pour circonvenir… la FDA (3). Le cabinet s'est targué auprès de ses clients privés de sa connaissance intime des personnels et plans de la FDA, et félicité d'avoir influencé un discours du directeur de cette agence (3). Après coup, et au vu du scandale de la promotion des opioïdes aux États-Unis, McKinsey a reconnu que son rôle auprès des firmes d'opioïdes, « quoique légal, était loin des grandes exigences que nous nous sommes fixées » (3). De 1999 à 2019, la crise des opioïdes de prescription a entraîné la mort de 250 000 personnes par overdose aux États-Unis d'Amérique (4).

En pratique, les personnes qui se livrent avec profit à ces allers-retours et conseils tous azimuts semblent avoir du mal à reconnaître ce qu'on leur reproche. La confusion n'est pas seulement dans les rôles, mais aussi dans les esprits.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- "Thomas Lönngren" Profil LinkedIn consulté le 23 juin 2022 : 2 pages.

2- Union européenne "Ombudsman : EU administration at critical point in treatment of "revolving doors"". Communiqué de presse du 18 mai 2022 : 2 pages.

3- Dyer O "Top consulting firm hid opioid conflicts of interest from the FDA, says congressional report" BMJ 2022 ; 377 : o1024 : 2 pages.

4- Prescrire Rédaction "Des consultants à tout faire" Rev Prescrire 2021 ; 41 (453) : 531.