"Barrière" hématoencéphalique, "barrière" placentaire, "barrière" cutanée, ces expressions donnent le sentiment que le cerveau, le fœtus et l'organisme sont protégés des substances toxiques, en particulier des médicaments. Mais ces "barrières" sont-elles vraiment infranchissables ? Quand une firme met en avant que son médicament ne traverse pas la barrière hématoencéphalique, peut-on en déduire que les patients sont à l'abri de tout effet neurologique central ?
En réalité, ces "barrières" physiologiques laissent passer diverses substances, certaines étant indispensables à la santé. Leur passage dépend de nombreux facteurs, qui varient d'une personne à l'autre, voire chez une même personne : diffusion passive ou active à l'aide de transporteurs, intégrité ou non de la "barrière" (éventuellement altérée par une lésion ou un traumatisme), doses et durée d'exposition aux substances, etc.
La pharmacologie moléculaire est parfois démentie par la clinique. Ainsi, selon le résumé des caractéristiques (RCP) européen de la difélikéfaline (Kapruvia°), cet opioïde autorisé dans le prurit lié à une insuffisance rénale chronique ne traverserait pas la "barrière" hématoencéphalique (lire aussi "difélikéfaline (Kapruvia°) et prurit lié à une insuffisance rénale chronique"). Pourtant, lors de son évaluation clinique, des troubles neuropsychiques ont été rapportés, ce qui suggère un passage dans le cerveau chez certains patients. Et ce même RCP signale par ailleurs un risque d'addition d'effets sédatifs avec divers psychotropes…
La notion de "barrière" physiologique est donc à relativiser. Il s'agit plutôt de zones d'échanges potentiels, difficiles voire impossibles à prévoir sans erreurs.
Cela illustre une nouvelle fois l'intérêt d'élaborer les décisions de soins sur la base de données d'évaluation clinique, sans s'arrêter aux seules hypothèses théoriques.
