Procès Mediator° en appel : un jugement plus à la mesure des dégâts

Au terme du procès pénal en première instance relatif au désastre du Mediator° (benfluorex), la firme Servier et son ancien directeur général, Jean-Philippe Seta, avaient été condamnés en mars 2021 pour « tromperie aggravée », « homicides et blessures involontaires ». Mais pas pour « escroquerie » des assurances maladie obligatoire et complémentaires (qui ont remboursé les prescriptions de Mediator°), ni pour « obtention indue d'autorisation de mise sur le marché », et aucune peine de prison ferme n'avait été prononcée (1,2). Ces insuffisances ont motivé un procès en appel dont l'arrêt a été rendu le 20 décembre 2023 (2à4).

Des dizaines d'années de tromperie constante et organisée

Le juge a expliqué avec beaucoup de précisions, à la fois juridiques et scientifiques, comment la Cour avait raisonné pour se prononcer sur les quatre chefs de poursuite : tromperie aggravée ; homicides et blessures involontaires ; obtention indue d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et renouvellements frauduleux d'AMM ; escroquerie aux assurances maladie obligatoire et complémentaires (1,2,4).

Il est prouvé qu'en vue de l'obtention de l'AMM pour le Mediator° en 1974, la firme Servier a pris le risque de développer et promouvoir un nouveau médicament amphétaminique en masquant son activité anorexigène et en trompant sur sa métabolisation en norfenfluramine, cause notamment des effets indésirables sur les valves cardiaques. Pendant les décennies qui ont suivi, la firme Servier a nié ses effets indésirables graves. Au contraire, elle a cherché à élargir les indications de ce médicament, alors qu'il aurait dû être retiré du marché si la firme n'avait pas caché aux patients, aux soignants et aux autorités ce qu'elle savait (2à4).

Des condamnations plus respectueuses des victimes, et plus lucides face à Servier

Selon la Cour, la politique de la firme Servier illustre une conception particulière de la balance bénéfices-risques : « les bénéfices financiers pour la firme, les risques mortels pour les patients » (2,4).

La Cour a estimé que la firme Servier était coupable de tous les chefs de poursuite, et donc est allée au-delà du jugement de première instance (2à5). Elle a condamné Jean-Philippe Seta à 4 ans de prison (dont un an ferme de détention à domicile sous surveillance électronique), et la firme Servier à plus de 9 millions d'euros d'amende. Elle a aussi condamné la firme à rembourser les assureurs maladie obligatoire et complémentaires à hauteur de 420 millions d'euros (2,3).

Ce jugement, que la firme Servier et son ancien directeur général ont à nouveau contesté en se pourvoyant en cassation, est davantage à la hauteur des dégâts et préjudices causés.

Jacques Servier, décédé en 2014, a été gravement mis en cause par la Cour pour son comportement délibérément trompeur durant des décennies. Espérons que le message sera entendu par les autres firmes, mais aussi par les nombreux soignants et responsables politiques qui ont trop fait confiance à la firme Servier et à son "grand patron".

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Mediator° : procès d'un entre-soi entre des acteurs de l'Agence du médicament et une firme influente" Rev Prescrire 2021 ; 41 (454) : 610-618.

2- "Notes d'audience prises par deux rédacteurs de Prescrire" 21 décembre 2023 : 2 pages.

3- APM "Mediator° : condamnation aggravée en appel de Servier et son ancien numéro 2 Jean-Philippe Seta" 20 décembre 2023 : 3 pages.

4- APM "Mediator° : l'escroquerie de Servier à l'assurance maladie et aux mutuelles était "parfaitement caractérisée" (cour d'appel)" 20 décembre 2023 : 3 pages.

5- APM "Mediator° : une sanction "exemplaire" pour restituer les "fonds escroqués" par Servier au système de santé (avocats)" (cour d'appel)" 20 décembre 2023 : 3 pages.