Bilan 2019 du conditionnement : entre progrès lents et insécurité

Résumé

En 2019, Prescrire a analysé 173 conditionnements de spécialités pharmaceutiques. Malgré une lente amélioration ces dernières années, de nombreux conditionnements dangereux sont encore sur le marché. Divers défauts, connus de longue date et aisément évitables, semblent ignorés des firmes.

L'Agence française du médicament (ANSM) peine à faire appliquer ses recommandations pour des choix de noms commerciaux, d'étiquetages et de dispositifs doseurs plus sûrs.

Au fil des ans, des constats se confirment : une quantité importante de défauts et dangers proviennent de médicaments anciens autorisés au niveau national uniquement, le secteur "automédication" étant particulièrement concerné. Les procédures d'autorisation de mise sur le marché (AMM) impliquant l'Agence européenne du médicament (EMA) ont été sources de progrès en matière de conditionnement, mais des failles persistent, avec des dangers particulièrement pour les enfants.

À travers les notices, les patients bénéficient des progrès apportés par le cadre européen, mais l'amélioration et l'harmonisation de l'information sur les risques pendant la grossesse restent en 2020 des enjeux de sécurité prioritaires pour les autorités de santé.

Les soignants se trouvent en première ligne pour prévenir des erreurs liées au conditionnement, les observer et les notifier, pour protéger les patients.

En 2019, près de 20 % des 173 conditionnements de spécialités pharmaceutiques examinés par Prescrire ont fait l'objet d'un Carton rouge lors de son Palmarès du conditionnement, en raison de dangers prévisibles ou avérés (lire dans le numéro 436 p. 86-87). Globalement, la situation s'améliore cependant, très lentement, depuis plus de 20 ans, en raison du cadre européen centralisé des autorisations de mises sur le marché (AMM), manifestement plus propice à la sécurité des conditionnements et à la prévention des erreurs médicamenteuses (1,2).

En 2019, 70 % de ces Cartons rouges concernent des médicaments autorisés au seul niveau national français, avec des AMM antérieures à l'année 2000 pour 70 % d'entre eux. Autrement dit, les firmes ont eu, depuis l'autorisation de ces médicaments, au moins une vingtaine d'années pour sécuriser leur usage, mais elles ne l'ont pas fait.

Face aux dangers connus, de lentes améliorations

Le conditionnement d'un médicament dépend de sa conception dans le cadre du développement du médicament puis de la demande d'AMM. Il résulte aussi de l'ensemble des opérations industrielles conduisant à la présentation de la forme pharmaceutique (comprimés, solution buvable, etc.), avec ses emballages, étiquetages, et l'assemblage dans la boîte de divers éléments (dont dispositif doseur et notice). Dans l'Union européenne, les firmes ont l'obligation de fournir une notice d'information avec les spécialités pharmaceutiques. D'autres exigences réglementaires déterminent certains éléments du conditionnement, tels que l'affichage de la dénomination commune internationale (DCI) de la composition du médicament et l'ajout de certains pictogrammes (2).

Trop de normes facultatives

Mais de nombreuses caractéristiques pourtant utiles pour sécuriser l'usage d'un médicament ne sont pas réglementées. Ainsi, il n'est pas imposé aux firmes : d'afficher la DCI en plus gros caractères que le nom de marque du médicament ; de systématiquement emballer les comprimés en plaquettes unitaires prédécoupées en doses unitaires indiquant chacune au minimum l'intitulé, le dosage, la forme pharmaceutique, le numéro de lot et la date de péremption ; de pourvoir tout flacon de médicament buvable d'un bouchon-sécurité ; de développer pour chaque médicament buvable multidoses un dispositif doseur spécifique ; de faire évoluer la présentation d'un médicament dans le cas d'une AMM étendue dans un second temps à des patients nécessitant la préparation de faibles doses, tels que les jeunes enfants. Pour inciter les fabricants à faire plus que le minimum, les autorités de santé, au niveau européen ou français, ont empilé au fil des décennies des normes pour rendre les notices, étiquetages et dispositifs doseurs plus sûrs (2,3). Hélas pour la sécurité des patients, ces normes restent facultatives.

Comme le montrent certains conditionnements, beaucoup de solutions techniques pour plus de qualité et de sécurité sont disponibles, mais leur adoption par les industriels ne s'étend que lentement. Et quantité de défauts et dangers persistent au fil des années, montrant que le conditionnement est souvent négligé, alors qu'il est un élément à part entière de la balance bénéfices-risques d'un médicament.

En 2019, des dangers persistants

Globalement, en 2019, les défauts constatés, sources de dangers, sont pourtant connus de longue date des autorités de santé :

  • des étiquetages qui survalorisent les éléments commerciaux (nom de marque du médicament, logo de la firme, charte graphique) et brouillent le repérage des mentions essentielles aux soins telles que la dénomination commune internationale (DCI) ou le dosage ;

  • une absence de dispositif doseur ou un dispositif non adapté spécifiquement au médicament ;

  • des médicaments qui ne sont pas prêts à l'emploi, ou complexes à préparer par les patients ou leur entourage ;

  • des plaquettes et flacons laissant un accès trop facile à leur contenu aux enfants ; etc.

Les médicaments délivrés sans ordonnance orientés "automédication" sont les plus sujets aux Cartons rouges des Palmarès Prescrire du conditionnement (4). Ils sont, pour la plupart, autorisés au niveau national, directement par l'Agence française du médicament (ANSM) (5).

Faible impact des recommandations de 2018 de l'ANSM en matière d'étiquetage

L'ANSM a publié en 2018 des recommandations pour des noms commerciaux et des étiquetages plus sûrs qui, en pratique, visent particulièrement les médicaments d'automédication. Si ces recommandations étaient systématiquement appliquées, cela conduirait à l'arrêt des gammes ombrelles, qui rassemblent les principaux défauts dangereux :

  • survalorisation sur les boîtes du nom de la marque (Actifed°, Advil°, Clarix°, Humex°, Vicks°, etc.) pour des spécialités de compositions, indications et populations visées différentes (voir photo "Gamme ombrelle Humex°") ;

  • minimisation des mentions de DCI, y compris de substances plus dangereuses qu'utiles selon Prescrire, telles que la pseudoéphédrine (toutes les spécialités examinées en 2019 sont concernées) ;

  • à l'inverse des recommandations de l'ANSM, les éléments commerciaux retiennent l'attention principale : survalorisation graphique de la marque sur la boîte, du logo de l'entreprise, charte graphique reproduite sur toutes les spécialités de la gamme (6).

Fin 2019, ces recommandations n'avaient pas encore eu d'impact sur les conditionnements examinés par Prescrire. À quelques exceptions près, les gammes ombrelles restent présentes dans les pharmacies et les patients exposés à leurs dangers. Selon l'ANSM, que nous avons interrogée, ces recommandations ont un effet dissuasif sur les nouvelles demandes de marques ombrelles, mais encore peu sur les marques existantes. À noter par contre un exemple d'amélioration : la firme Galderma, qui commercialisait sous la marque Curaspot° un médicament et des cosmétiques, a modifié le nom des cosmétiques, les distinguant ainsi du médicament et, fait rare, les lots comportant la marque ombrelle Curaspot° ont été retirés du marché par la firme (7).

Avec d'autres spécialités, qui ne font pas partie de gammes ombrelles, l'affichage de la DCI est minimal : Cozidime° (dorzolamide + timolol) ; Nicopatchlib° (nicotine) ; Phénergan° comprimés (prométhazine) ; Praxilène° (naftidrofuryl).

La mention du dosage est parfois insuffisante. C'est un défaut grave quand il s'agit de substances pour lesquelles une surdose dangereuse est vite atteinte, comme avec le paracétamol : mention peu visible sur la boîte et encore moins sur le flacon de Dolko° (voir photo "Nom de fantaisie imposant"). En 2019, l'absence de mention du dosage en paracétamol, qui faisait sérieusement défaut sur la face principale des boîtes de Fervex° (paracétamol + phéniramine + vitamine C), a été corrigée. Paradoxalement, l'ANSM a le pouvoir d'exiger des firmes qu'elles ajoutent sur les boîtes de paracétamol la mention « SURDOSAGE = DANGER » mais pas celui de faire respecter l'affichage de manière prédominante de la DCI et du dosage (8).

Un autre défaut est l'insuffisance d'éléments distinctifs entre deux dosages, comme c'est le cas de la spécialité Siklos° (hydroxycarbamide), disponible en comprimés dosés à 100 mg et à 1 000 mg, qui expose les enfants à des effets indésirables hématologiques graves. Le même type de défaut est observé avec Fluimucil° expectorant (acétylcystéine) 200 mg et 600 mg.

Des médicaments correctement étiquetés, c'est possible

Un nombre croissant de médicaments commercialisés sous un nom de fantaisie respectent mieux l'affichage des DCI et des mentions de dosage, sans excès commercial de présentation. Lors de ses analyses, Prescrire a constaté que la plupart de ces médicaments sont enregistrés selon une procédure européenne, notamment centralisée. En 2019, par exemple, les médicaments suivants, enregistrés selon une procédure européenne d'AMM, ont leur DCI clairement lisible : Hemlibra° (émicizumab) ; Gilenya° (fingolimod) ; Tremfya° (guselkumab) ; Pelmeg° (pegfilgrastim). La DCI mifépristone est même prédominante sur le nom de spécialité Mifégyne° qui en contient.

Lorsque le nom commercial n'est pas un nom de fantaisie mais associe la DCI et le nom de la firme, les DCI sont de fait clairement affichées. Cette appellation est très répandue pour les médicaments génériques. Par exemple, la DCI est nettement plus lisible sur les étiquetages et dans la notice de la copie de Mylan de l'anneau contraceptif à l'étonogestreléthinylestradiol, qu'avec le princeps Nuvaring°. Des firmes de génériques sont aussi à l'origine de progrès par la mise à disposition de plaquettes unitaires là où le princeps est en flacon-vrac (1).

Plus rarement, des copies abaissent le niveau de sécurité. Ainsi, contrairement au princeps Suboxone°, certaines plaquettes de copies de buprénorphine + naloxone sont dépourvues d'un film "anti-effraction" rendant très difficile l'accès par un jeune enfant au médicament emballé (9).

Flacon-vrac : encore des comprimés de méthotrexate en flacon-vrac, parfois même sans bouchon-sécurité

Le méthotrexate est un cytotoxique utilisé à faible dose en une prise hebdomadaire comme immunodépresseur, dans la polyarthrite rhumatoïde et certains psoriasis. Sa dangerosité, attestée par les erreurs mortelles régulièrement rapportées, est liée au risque de prise quotidienne et non hebdomadaire. Des plaquettes ont remplacé le flacon-vrac de Novatrex° en 2017 après 20 ans de commercialisation. Il en est de même avec Imeth° 2,5 mg (depuis 2018), mais pas avec Imeth° 10 mg ni avec Méthotrexate Bellon°, dont les flacons sont munis d'un bouchon désuet sans sécurité pour protéger les enfants (10).

Les mesures recommandées par le Comité de pharmacovigilance européen (PRAC) sont bienvenues mais limitées pour contrer les risques d'erreurs. Mais la Commission européenne, chargée d'entériner ces mesures, laisse aux firmes jusqu'à fin 2023 pour conditionner tous les comprimés de méthotrexate en plaquettes unitaires (10).

En France, l'ANSM a recommandé les plaquettes unitaires prédécoupées comme critère de qualité en matière d'étiquetage et de sécurité vis-à-vis des comprimés ou gélules, quelle que soit la substance. Mais en 2019, celles-ci sont restées rares dans les conditionnements examinés par Prescrire : par exemple Baclocur° (baclofène) et Flucortac° (fludrocortisone) (voir photo "Découpes d'une plaquette").

Dispositifs doseurs : y prêter attention pour protéger les patients des erreurs

Dans le cas des formes buvables, plutôt qu'un dispositif doseur spécifique, conçu de manière adaptée aux recommandations posologiques propres à chaque situation clinique (substance, indication, patient), établies sur la base d'une évaluation clinique, la plupart des conditionnements fournissent des dispositifs standard gradués en millilitres, fabriqués à grande échelle pour en diminuer le coût.

En 2019, sur 21 conditionnements de médicaments buvables multidoses examinés, 5 sont totalement dépourvus de dispositif doseur : Clarix toux sèche adulte° (pentoxyvérine) ; Maxilase° et Alfa-Amylase Biogaran conseil° (alfa-amylase), Potassium Liberty Pharma° (potassium) ; Vicks sirop pectoral°(pentoxyvérine). Ils ont tous été autorisés il y a au moins 20 ans par voie nationale. La copie Alfa-Amylase Biogaran conseil° a été autorisée une dizaine d'années après Maxilase°, mais sans amélioration de cet aspect.

Un autre type de défaut est le choix d'un gobelet gradué comme dispositif doseur. Selon l'Agence étatsunienne du médicament (FDA), les gobelets sont des dispositifs qui, en pratique, s'avèrent imprécis (11). C'est aussi le constat de Prescrire à la suite de l'examen de centaines de gobelets. En 2019, on en retrouve fournis avec plusieurs médicaments : Deroxat° (paroxétine), un antidépresseur (voir photo "Deroxat° (paroxétine) : dispositif doseur imprécis") ; ou Phénergan° (prométhazine), un neuroleptique. Pire, le gobelet de la paroxétine comporte deux échelles de graduation, l'une en milligrammes de substance, l'autre en millilitres à mesurer, source avérée de confusion d'un facteur 2 (la concentration étant de 2 mg/ml). Un autre défaut est la présence de graduations superflues, source de confusion. Le gobelet ajouté fin 2019 au flacon de Potassium H2 Pharma° affiche seulement les 2 volumes recommandés (5 ml et 15 ml), ce qui est un progrès par rapport aux gobelets fournis précédemment, qui affichaient systématiquement 4 volumes : 2,5 ml, 5 ml, 10 ml et 15 ml. Dans le cas du sirop Phénergan°, les volumes 2,5 ml et 15 ml sont inutiles voire source d'erreurs.

En 2019, très peu de dispositifs examinés ont progressé en qualité : la seringue d'Oxynorm° solution buvable (oxycodone) a été améliorée. Elle est graduée en milligrammes et non plus en millilitres.

D'autres améliorations partielles conduisent à des incohérences. Trente ans après sa mise sur le marché, la boîte du sirop Nausicalm° (diménhydrinate) contient une seringue orale. Mais la notice recommande toujours l'utilisation d'une cuillère domestique pour les adultes et le plan de prise sur la boîte n'a pas été actualisé, mentionnant toujours des cuillerées à café. Autre exemple, la Vitamine K1 Cheplapharm° (phytoménadione) est enfin disponible en boîte unitaire et non plus en boîte de 5 ampoules, ce qui était une quantité excessive par rapport à la posologie et une source avérée de surdose. Mais la pipette doseuse comporte toujours une graduation superflue de 1 mg qui pourrait conduire à administrer la moitié de la dose recommandée qui est de 2 mg. Encore un exemple d'amélioration partielle : suite à la mort de deux patients en raison d'erreurs de dose, la seringue de Phosphoneuros° est devenue plus précise (1 graduation toutes les 5 gouttes au lieu de 10), mais elle ne permet pas de préparer moins de 5 gouttes, au détriment des nouveau-nés de moins de 5 kg (voir photo "Pas de graduation pour préparer la dose d'un nouveau-né").

Risques pendant la grossesse : ambiguïtés des notices et lenteur de leur mise à jour

Les AMM octroyées par l'Agence européenne du médicament (EMA) sont l'occasion de progrès en matière de pédagogie dans les notices, mais les mises à jour sont lentes. Exemple notable en 2019 : la notice d'Ellaone° (ulipristal) n'informe pas sur la diminution d'efficacité de cette contraception d'urgence quand une contraception hormonale est utilisée dans les 5 jours suivant la prise d'ulipristal.

Nous observons par ailleurs depuis plusieurs années l'ambiguïté des mentions relatives aux risques liés à la prise des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pendant la grossesse. Les AINS exposent notamment les enfants à naître à un risque malformatif pendant le 1er trimestre de grossesse, et à des risques rénaux ou d'hypertension pulmonaire à partir du 4e mois (12). En 2019, sur 9 notices d'AINS examinées, 3 proscrivent l'usage de l'AINS pendant toute la grossesse au chapitre « Ne prenez jamais (…) ». Mais d'autres chapitres des mêmes notices peuvent comporter des mentions qui rendent l'information globale ambiguë, telle « sauf avis contraire de votre médecin » (Rhinureflex°, Nurofen rhume°). Six autres notices contre-indiquent l'usage seulement à partir du 6e mois ou du 7e mois. Dans ces six notices, pour ce qui concerne la période antérieure à celle de la contre-indication, quatre types de mentions sont notés :

  • à éviter jusqu'à 6 mois révolus sauf avis médical contraire (Ipraféine°) ;

  • « dans les 6 premiers mois de la grossesse (…) demandez conseil à votre médecin ou pharmacien » (Flurbiprofène Sandoz conseil°) ;

  • en cas de prise jusqu'à 5 mois révolus, « la dose d'ibuprofène utilisée devra être la plus faible possible et pendant la durée du traitement la plus courte possible » (Rhinadvil rhume°) ;

  • si nécessaire, et sur avis médical, une utilisation ponctuelle jusqu'à 5 mois révolus (Entalgine°, Strefen°, Strefen orange sans sucre°). Les notices de ces trois spécialités sont d'ailleurs les seules à expliciter une part des risques « notamment sur un plan cardio-pulmonaire et rénal, et cela même avec une seule prise ».

En 2020, les mentions relatives aux risques pendant la grossesse restent parmi les informations les plus complexes à interpréter dans les notices.

Enfants : trop de négligences de la part des firmes et des agences

Les enfants restent en 2019 les patients les plus négligés quant aux risques liés aux conditionnements. La moitié des Cartons rouges du Palmarès Prescrire 2019 du conditionnement mettent en exergue des risques qui les concernent : risques d'erreur lors de la préparation des doses et risques d'ingestion accidentelle notamment.

Encore des flacons multidoses sans bouchon-sécurité

Les Cartons rouges pour absence de bouchon-sécurité sur des flacons multidoses de médicaments buvables (alfa-amylase, diménhydrinate, paracétamol, pentoxyvérine, phosphore, potassium, prométhazine) concernent des AMM enregistrées par la France seule, entre 1984 et 2001. En 20 à 30 ans, en l'absence d'obligation, les fabricants de ces médicaments les laissent dangereusement démunis de bouchon-sécurité.

Paracétamol : profusion de spécialités mais aucun conditionnement pédiatrique optimal

En 2019, nous avons examiné le conditionnement des spécialités à base de paracétamol buvable disponibles dans les pharmacies en France, en particulier pour les enfants de toutes tranches d'âge. Toutes les formes buvables multidoses fournissent une seringue graduée en kg de poids de l'enfant calibrée à 15 mg par kg, quand 10 mg pourraient suffire ; un flacon ne comporte pas de bouchon-sécurité (Dolko°) ; aucun sachet, forme prête à l'emploi qui ne nécessite aucune mesure, ne permet d'administrer avec précision une dose à des nourrissons de moins de 5 kg ; toutes ces spécialités contiennent au moins un excipient à effet notoire. En pratique, aucune n'est pleinement appropriée pour un usage exclusivement pédiatrique, pourtant courant.

Extensions d'autorisations aux enfants : l'EMA ne remplit pas son rôle

Souvent, les médicaments sont d'abord autorisés chez les adultes. Quand l'autorisation est ensuite étendue aux enfants, les conditionnements ne sont pas toujours adaptés, ou le sont trop peu, révélant une faille dans les procédures d'extension d'AMM, y compris les procédures européennes centralisées, sous la responsabilité de l'EMA. Les exemples s'accumulent. Ainsi, la capacité de la seringue orale d'Inovelon° (rufinamide) n'a pas changé et s'avère désormais de contenance disproportionnée pour les nourrissons (voir photo "Seringue orale de 20 ml : 10 fois la dose pédiatrique") ; la seringue d'injection de Firazyr° (icatibant) n'a pas changé non plus, alors que l'extension à de jeunes enfants justifie qu'elle devienne graduée pour mesurer la dose appropriée.

L'absence d'inclusion des dispositifs nécessaires à la préparation des doses pédiatriques n'est pas isolée. Nous l'avions observée en 2018 avec Renvela° (sévélamer) et Vimpat° (lacosamide) et en 2017 avec Kuvan° (saproptérine) (1,13).

Le maintien dans le conditionnement actuel en France du vaccin buvable Rotarix° (vaccin rotavirus) du dispositif d'administration ayant l'aspect d'une seringue SC ou IM, source d'injections par erreur, est aberrant puisque le RCP européen de ce vaccin présente un autre dispositif d'aspect distinct et n'exposant pas à ces injections par erreur.

Une Palme du conditionnement pour une information pédagogique dans un conditionnement pédiatrique

Il existe pourtant de bons exemples en matière de conditionnement pédiatrique et d'information.

La Palme du conditionnement 2019 a été attribuée à Isentress° granulés pour suspension buvable (raltégravir) pour la qualité de son livret d'information (voir "Extrait du livret du raltégravir - Isentress°"). Depuis 2017, nous observons plusieurs médicaments pédiatriques autorisés par l'EMA sous forme de poudres ou de granulés. Ils nécessitent la préparation extemporanée de solutions ou suspensions buvables, complexe, qui est laissée à l'entourage des enfants (1,13). En comparaison aux solutions ou suspensions multidoses prêtes à l'emploi, ces poudres ou granulés ont l'avantage d'être dépourvus de certains excipients dangereux pour les enfants, habituellement ajoutés pour humecter, solubiliser ou épaissir : propylène glycol, éthanol, huile de ricin, etc. Mais leur notice est souvent trop peu pédagogique au regard de la complexité de la préparation du médicament par l'entourage des enfants. Nous avions relevé ce problème en 2017 avec la notice d'Isentress° (13). Depuis, un livret d'information détaillé et illustré a été ajouté dans la boîte de cette spécialité, en plus de la notice, qui améliore grandement la situation par ses qualités pédagogiques.

En 2019, nous avons constaté d'autres progrès pour les enfants sur certains médicaments, par exemple les seringues et stylos préremplis à dose fixe de Humira° (adalimumab), plus commodes pour les enfants, ou la mise à disposition de formes buvables comme Orfadin° (nitisinone). Mais ces améliorations sont tardives et opportunistes, apparaissant à l'ouverture du marché aux génériques de ces médicaments. De telles améliorations peuvent avoir été réalisées en conformité avec un plan d'investigation pédiatrique convenu entre l'EMA et la firme plusieurs années auparavant, ce qui permet à la firme d'obtenir 6 mois supplémentaires de monopole sur le médicament, y compris pour les indications chez les adultes.

En somme

Le marché des conditionnements s'améliore mais il reste en 2020 de nombreux exemples de conditionnements exposant les patients à des dangers, en particulier les enfants et les femmes enceintes. Ces défauts, par les complications qu'ils entraînent, retentissent sur les prescripteurs, les pharmaciens et les infirmiers. Les soignants se trouvent en situation de devoir prévenir des erreurs, de les observer et les notifier, quand des évolutions réglementaires et une attention des firmes et des agences à la sécurisation des soins les éviteraient en grande partie.

L'examen méthodique de plusieurs milliers de conditionnements sur de nombreuses années par Prescrire montre que, en France, les recommandations de l'ANSM (noms commerciaux, étiquetages, dispositifs doseurs) sont peu ou pas respectées dans le cadre des procédures d'AMM nationales. Situation caricaturale en 2019, les représentants des firmes d'automédication ont contesté au Conseil d'État des recommandations de l'ANSM pour des choix de noms commerciaux et d'étiquetages plus sûrs. Fort heureusement, le Conseil d'État a validé la légalité et le bien-fondé de ces recommandations, ce qui élève leur valeur normative vis-à-vis des firmes qui choisiraient de s'y soustraire (6). Il serait souhaitable que de telles recommandations soient à l'avenir introduites en droit commun européen, afin de les rendre obligatoires.

En France, après que la "dispensation à l'unité" a été expérimentée sur quelques antibiotiques en 2014-2015, cette mesure est apparue début 2020 dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Elle sera applicable au plus tard en 2022 et après publication d'un décret d'application précisant les médicaments concernés et les modalités de reconditionnement (14,15). Souhaitons que le décret exige un haut niveau de qualité en matière de « modalités de conditionnement, d'étiquetage et d'information de l'assuré ainsi que de traçabilité pour ces médicaments ». Dans le cas contraire, cette mesure "anti-gaspi" risquerait d'être une régression pour la protection des patients.

Synthèse élaborée collectivement par la Rédaction

sans aucun conflit d'intérêts

©Prescrire

Éléments de conditionnement à problème : 7 exemples

Nom de fantaisie imposant (Dolko°) mais DCI et dosage difficilement visibles pour du paracétamol !

Gamme ombrelle Humex° : 24 spécialités recouvrant 22 substances différentes et similitude avec un complément alimentaire Humer°

Pas de graduation pour préparer la dose d'un nouveau-né pesant moins de 5 kg

LRP438_OUV_Graduation

Seringue orale de 20 ml : soit 10 fois la dose pédiatrique

Deroxat° (paroxétine) : dispositif doseur imprécis (un gobelet) + 2 modes de graduations en mg et ml

Découpes d'une plaquette non unitaire et d'une plaquette unitaire prédécoupée

LRP438_OUV_DecoupePlaquette

Extrait du livret du raltégravir (Isentress°) illustrant la technique de mesure de la dose par une seringue orale

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Bilan 2018 des conditionnements : des pistes pour limiter les dangers" Rev Prescrire 2019 ; 39 (426) : 293-298.

2- Prescrire Rédaction "Conditionnement des médicaments en Europe : quelles forces de progrès ?" Rev Prescrire 2018 ; 38 (414) : 297-298.

3- Prescrire Rédaction "Recommandation ANSM sur les dispositifs doseurs : un progrès" Rev Prescrire 2017 ; 37 (401) : 219.

4- Prescrire Rédaction "Le Palmarès 2019 du conditionnement" Rev Prescrire 2020 ; 40 (436) : 86-87.

5- ANSM "Répertoire des spécialités pharmaceutiques". Site internet agence-prd.ansm.sante.fr/php/ecodex/ consulté le 2 janvier 2020.

6- Prescrire Rédaction "Le Conseil d'Etat confirme l'intérêt d'arrêter les gammes ombrelles" Rev Prescrire 2020 ; 40 (436) : 148.

7- ANSM "Courriel à Prescrire" 29 octobre 2019 : 1 page.

8- Prescrire Rédaction " Paracétamol et AINS : de nouveau derrière le comptoir" Rev Prescrire 2020 ; 40 (436) : 109.

9- Prescrire Rédaction "Buprénorphine + naloxone : association copiée en plaquettes unitaires non sécurisées" Rev Prescrire 2020 ; 40 (435) : 21-22.

10- Prescrire Rédaction "Méthotrexate hebdomadaire : quelques mesures bienvenues contre des erreurs mortelles" Rev Prescrire 2020 ; 40 (437) : 182-183.

11- Prescrire Rédaction "FDA : haro sur les dispositifs doseurs" Rev Prescrire 2011 ; 31 (328) : 144.

12- Prescrire Rédaction "AINS, dont l'aspirine" Interactions Médicamenteuses Prescrire 2020.

13- Prescrire Rédaction "Bilan 2017 du conditionnement : la qualité en progression mais encore beaucoup de danger" Rev Prescrire 2018 ; 38 (414) : 294-299.

14- Treibich C et coll. "The expected and unexpected benefits of dispensing the exact number of pills" PLoS One 2017 ; 12 (9) : e0184420 : 9 pages.

15- "Article 40 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire" Journal Officiel du 11 février 2020 : 1 page.