Évaluer les médicaments : pour les patients d'aujourd'hui, sans négliger ceux de demain

Au cours des dernières années, la quantité et la qualité des informations disponibles sur les nouveaux médicaments au moment de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) se sont considérablement appauvries, au point qu'au printemps 2023 un collectif de spécialistes de l'évaluation des médicaments et de soignants a publié une alerte à ce sujet en France (1). En même temps, certaines associations de patients critiquent les « décisions mortifères » de la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS), qui retarderaient l'accès à de nouveaux médicaments présentés comme prometteurs (2à4).

Mais tous les patients partagent-ils les mêmes intérêts en matière d'évaluation des nouveaux médicaments ?

Des intérêts en partie divergents

Chaque patient a intérêt à avoir accès à des médicaments bien évalués, dont la balance bénéfices-risques favorable a été démontrée sur des critères cliniques pertinents, avec un fort niveau de preuves, et en comparaison avec les meilleures options thérapeutiques disponibles.

Mais les attentes des patients diffèrent selon leur situation personnelle. Par exemple, il est compréhensible que des patients atteints d'une maladie dont on ne connaît pas de traitement satisfaisant souhaitent avoir accès le plus rapidement possible à de nouveaux médicaments, même insuffisamment évalués, malgré des incertitudes et des risques importants (5).

Aux États-Unis d'Amérique et en Europe, les agences du médicament ont rendu possibles des accès de plus en plus précoces à certains médicaments. Cela a incité de plus en plus les firmes à saisir l'opportunité de ces marchés faciles, car peu exigeants et vite rémunérateurs (6).

Négligences

Les agences du médicament acceptent des données cliniques de faible niveau de preuves pour l'octroi d'une AMM précoce, sans être assez exigeantes sur l'évaluation post-AMM, indispensable pour compléter l'évaluation. Ce sont tous les patients qui sont malmenés, car les choix thérapeutiques s'effectuent, de façon durable, sur des données très fragiles (5).

Par exemple, en acceptant l'AMM de médicaments dans la maladie d'Alzheimer sur la base d'une action sur les plaques amyloïdes, qui est un critère intermédiaire d'évaluation sans lien démontré avec l'amélioration de la situation clinique des patients, les agences incitent les firmes à choisir cette piste d'évaluation relativement facile, en négligeant d'autres pistes de recherche éventuellement plus prometteuses (5).

Des délais courts pour répondre aux besoins des patients qui sont aujourd'hui en situation d'impasse thérapeutique permettent rarement de disposer d'une évaluation solide des nouveaux médicaments. Dans l'intérêt de tous les patients de demain, les firmes devraient être obligées de poursuivre jusqu'au niveau standard l'évaluation de ces médicaments autorisés sur une base fragile, ne serait-ce que pour écarter ceux qui s'avèrent finalement plus dangereux qu'utiles.

Les activités de recherche et développement concernant les médicaments, encadrées par les agences, doivent prendre en compte les patients d'aujourd'hui, tout autant que ceux de demain.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Autrant B et coll. "Traitements contre le cancer : « Le bénéfice des nouveaux médicaments, évalué à court terme, est trop incertain »" Le Monde du 19 mai 2023 : 1 page.

2- AF3M "Halte aux décisions mortifères de la HAS : Mise en danger des malades du myélome multiple" 12 février 2023 : 2 pages.

3- Prescrire Rédaction "Commission de la transparence : priée de passer en mode dégradé !" Rev Prescrire 2023 ; 43 (478) : 616.

4- "Dr Étienne Lengliné, de la Commission de la Transparence « Il y a actuellement beaucoup d'incertitudes dans l'évaluation des médicaments »" Lymphom'Action 2023 ; (50) : 8-11.

5- Lynch HF et Largent E "Considering tomorrow's patients in today's drug approvals" BMJ 2023 ; 381:e07500017 : 4 pages.

6- Prescrire Rédaction "Recherche et développement de médicaments : changer de système" Rev Prescrire 2016 ; 36 (398) : 933-939.